jeudi 18 juillet 2013

L'injonction ou l'ordonnance de sauvegarde est le moyen approprié pour assurer à une partie que ses droits à la passation de titre ne sont pas compromis

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Nous traitons cet après-midi d'une décision qui touche plusieurs sujets dont nous avons traité dans le passé. En effet, nous avons déjà discuté du fait que l'exécution en nature est la règle en droit québécois et qu'on ne peut être privé de celle-ci au motif que le préjudice pourrait être compensé par des dommages (voir nos billets du 28 janvier 2011, 23 décembre 2012 et 2 mai 2013), tout comme nous avons discuté du fait que pour protéger la possibilité d'exécuter une offre de contracter ou un pacte de préférence il faut avoir recours à l'injonction (voir nos billets du 20 décembre 2012) puisqu'il ne sera pas possible de faire subséquemment annuler une vente en raison de l'article 1397 C.c.Q. en l'absence de fraude (voir nos billets du 22 octobre 2010 et du 23 octobre 2012 et du 15 juillet 2013). La décision récente rendue dans Ly c. Construction Sainte Gabrielle inc. (2013 QCCS 3439) applique tout ces principes.


Dans cette affaire, les Demandeurs recherchent l'émission d'une ordonnance de sauvegarde dans le cadre d'un litige visant l’exécution en nature de deux contrats intervenus entre les Demandeurs et la Défenderesse, intitulés «Preliminary Contract and Guarantee Contract» en vertu desquels les Demandeurs recherchent, au mérite, la construction de deux résidences selon leurs instructions et la passation de titre.
 
Au stade de la sauvegarde, les Demandeurs cherchent à empêcher la construction d'immeubles sur les lots qu'ils allèguent avoir le droit d'acquérir et à empêcher la vente de ces lots. Ils plaident que, en l'absence de telles ordonnances, la vente des lots ou des immeubles conjuguée à l'article 1397 C.c.Q. aura pour effet de les priver de leur droit à l'exécution en nature et donc leur laisser seulement un recours en dommages.
 
La Défenderesse plaide justement que le recours approprié des Demandeurs est en dommages et qu'ils ne subissent pas de préjudice irréparable puisqu'il est possible pour eux d'être compensé de manière monétaire.
 
Appliquant les principes énumérés en introduction, l'Honorable juge Micheline Perreault rejette l'argument de la défense et elle accepte d'émettre une ordonnance de sauvegarde:
[20] Les demandeurs soutiennent que si les travaux se poursuivent, il existera une situation de fait de nature à rendre le jugement final inefficace, car l’exécution en nature deviendra impossible. En effet, la preuve révèle que les résidences présentement en construction ont une conception différente de celles des demandeurs. 
[21] Les demandeurs plaident que suivant l’article 1590 C.c.Q., ils ont droit à l’exécution de l’obligation malgré l’existence d’un préjudice qui peut être compensé monétairement. La défenderesse, pour sa part, plaide qu’il s’agit d’une situation qui est visée par l’article 1397 C.c.Q. et que les demandeurs n’ont droit qu’à des dommages. 
[22] Il est de jurisprudence constante que lorsqu’il est possible de compenser la demanderesse par équivalent, le préjudice appréhendé n’est pas considéré comme étant de nature irréparable. Cependant, l’article 752 al.2 C.p.c. énonce un second critère alternatif qui est celui-ci : 
«L’injonction interlocutoire peut être accordée lorsque celui qui la demande paraît y avoir droit et qu’elle est jugée nécessaire pour empêcher que ne lui soit causé un préjudice sérieux ou irréparable, ou que ne soit créé un état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement final inefficace.» (Notre soulignement) 
[23] Le Tribunal est d’avis que s’il n’intervient pas, la situation décrite expose les demandeurs à un risque réel, à un état de fait qui est de nature à rendre le jugement final inefficace, soit plus particulièrement à la perte du droit à l’exécution forcée, à l’exécution en nature des obligations contractées. Il s’agit d’un risque auquel les demandeurs sont confrontés s’il n’y a pas d’ordonnance qui empêche la construction et la vente des résidences, en raison de ce que prévoit l’article 1397 C.c.Q. Il existe donc en l’espèce un préjudice irréparable au sens de l’article 752 al.2 C.p.c.  
[24] Comme le souligne la juge Marie St-Pierre (alors qu’elle était à la Cour supérieure) dans l’affaire Produits Suncor Énergie c. Finance Wentworth, les demandeurs se trouvent «avant le fait». Il n’y a pas eu de vente à un tiers et ils sont en mesure d’empêcher qu’une telle chose se fasse. 
« [49] Suncor est en mesure d’éviter de devoir se retrouver dans la situation où elle n’aurait qu’un recours en dommages et intérêts et c’est ce qui se présenterait s’il y avait une vente et que 1397 C.c.Q. devait s’appliquer.  
[50] C’est d’ailleurs pour cela qu’elle s’adresse à la Cour : pour prévenir et protéger.   
[…]  
[65] Si Suncor a raison, et si une vente à un tiers intervenait, la conséquence serait qu’elle ne pourrait plus exécuter en nature un droit qu’un Tribunal lui reconnaîtrait par ailleurs et que son seul recours en serait un en dommages. Ainsi, sans ordonnance, quelque chose pourrait se faire, une vente à un tiers, alors que le jugement final n’y pourrait rien.» 
[25] En l’espèce, il est à prévoir que si l’ordonnance de sauvegarde n’est pas accordée, les résidences seront construites suivant des plans autres que ceux des demandeurs et vendues à des tiers. Le préjudice est non seulement sérieux, mais il apparaît irréparable, dans le sens que la chance de construire les deux résidences suivant leurs plans et de les acheter sera perdue, à jamais.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/1bO568t

Référence neutre: [2013] ABD 286

Autre décision citée dans le présent billet:

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