lundi 15 juillet 2013

La mauvaise foi n'implique pas nécessairement fraude

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Les concepts de fraude et de mauvaise foi, s'ils sont souvent similaires et simultanément présents, ne sont pas identiques. Ainsi, l'on peut être de mauvaise foi, sans nécessaire commettre une fraude civile. On peut également agir en fraude des droits d'une personne, sans nécessairement être de mauvaise foi envers elle (voir notre billet récent du 2 juillet 2013). L'importance de la distinction entre ces deux principes est bien démontrée par l'affaire Micro-brasserie Le Grimoire inc. c. Pérusse (2013 QCCS 3314).



Dans cette affaire, la Demanderesse, invoquant à son avantage des promesses de contracter, intente un recours en passation de titre de certaines actions, en plus de conclusions en dommages. Cependant, puisque ces mêmes actions ont déjà été vendues à des tierces parties, la Demanderesse recherche également l'annulation ou l'inopposabilité de ces ventes. Dans le jugement qui nous intéresse, la Demanderesse recherche l'émission d'une injonction interlocutoire pour "mettre en place" le mécanisme de la passation de titre.  

L'Honorable juge Martin Bureau est saisi de cette demande d'injonction et doit déterminer si la Demanderesse a un droit apparent à faire valoir. À première vue, il semble que la Demanderesse n'a pas de droit apparent à la passation de titre à faire valoir en vertu de l'existence de l'article 1397 C.c.Q. En effet, comme nous l'avons déjà noté à quelques reprises (voir nos billets du 27 août 201023 octobre 2012 et 20 décembre 2012), le titulaire d'un pacte de préférence ne peut faire annuler la vente faite en violation de celui-ci et ce même lorsque le tiers acquéreur est de mauvaise foi.
 
La Demanderesse invoque cependant certains ouvrages de doctrine et une décision récente de la Cour supérieure qui supporte la position voulant que l'on peut, exceptionnellement, utiliser le mécanise de l'action en inopposabilité et mettre de côté le principe posé par l'article 1397 C.c.Q. en cas de fraude.
 
Pour le juge Bureau, même si l'on acceptait cette possibilité, la Demanderesse ne satisferait pas le critère du droit apparent. En effet, si les tiers sont possiblement de mauvaise foi en l'instance, on ne peut parler de fraude:
[75]        Toutefois, malgré le sérieux des faits prouvés dans cette affaire, la Cour d’appel a considéré dans un récent arrêt du 6 mai 2013 que de telles circonstances ne devaient toutefois pas être considérées comme de la fraude au sens de l’article au sens de l’article 1631 C.c.Q. mais plutôt comme un constat de mauvaise foi. Un extrait de ce jugement ici reproduit démontre clairement qu’il faut appliquer l’article 1397 C.c.Q. et se concentrer plutôt sur la demande de dommages: 
« [2] Toutefois, le juge de première instance est allé trop loin en assimilant le comportement de mauvaise foi des appelants à de la fraude. En l’absence de toute dissimulation et de toutes manœuvre mensongère, dolosive ou autrement frauduleuse, le juge de première instance devait s’en tenir à la qualification appropriée des faits et conclure que la preuve donnait assise à un constat de mauvaise foi au sens de l’article 1387 C.c.Q. , mais ne permettait pas d’imputer aux appelants un comportement frauduleux aux sens de l’article 1631 C.c.Q. Cette erreur de droit justifie la réformation du jugement de première instance.  
[3] L’article 1387 C.c.Q. fait donc obstacle à l’action telle qu’intentée Il est limpide, et nous sommes ici en présence d’une violation claire d’une promesse de contracter ne permet pas l’annulation du contrat entre les appelants. Toutefois, le recours en dommages subsiste, à la fois contre l’appelant Paul Landry, promettant, et l’appelant Yves Landry, son co-contractant de mauvaise foi.  
[4] La poursuite, ici, comportait une demande subsidiaire de réserve de dommages-intérêts, le cas échéant. Dans les circonstances de l’espèce, la démarche appropriée en droit était plutôt de permettre à l’intimée. » 
[76]        Dans le présent dossier, on ne peut, de la même façon que la Cour d’appel l’a fait suite au jugement rendu par l’honorable juge Dallaire, considérer qu’il y a eu des gestes de la nature de manœuvre ou magouille frauduleuse. Certes, les défendeurs ont agi pour s’assurer que leurs propres ententes, postérieures à celles convenues entre la demanderesse et le défendeur Jean-Claude Pérusse, puissent être complétées et mises en œuvre.  
[77]        Toutefois, la précarité à plusieurs égards des droits de la demanderesse et l’incertitude qu’elle puisse encore respecter sa part d’obligations, font en sorte qu’il n’y a pas ce degré de fraude ou de mauvaise foi permettant de considérer qu’il faut d’emblée mettre de côté des dispositions de l’article 1397 C.c.Q. pour y appliquer plutôt celles de l’article 1631 C.c.Q.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/12DFkjO

Référence neutre: [2013] ABD 280

Autre décision citée dans le présent billet:

1. Landry c. 4300912 Canada inc., 2013 QCCA 835.

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