jeudi 13 juin 2013

Selon une décision récente, l'entreprise québécoise dont les droits d'auteurs ou les marques de commerce sont violées subie nécessairement un préjudice au Québec (ce avec quoi je suis en désaccord)

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

La question du préjudice subi au Québec à titre de facteur de rattachement a fait couler beaucoup d'encre en jurisprudence et en doctrine, et ce avec raison. En effet, dans plusieurs actions personnelles à caractère patrimonial il s'agira du seul facteur de rattachement qui donnera juridiction aux tribunaux québécois. C'est pourquoi la décision récente de la Cour supérieure dans Filosofia Éditions inc. c. Entreprises Foxmind Canada ltée. (2013 QCCS 2519), dans laquelle l'on pose le principe voulant que l'entreprise québécoise dont les droits d'auteurs ou les marques de commerce sont violées subie nécessairement un préjudice au Québec, est d'intérêt.
 

Dans cette affaire, alléguant que l'utilisation par les Défenderesses de leur nouveau logo cause confusion avec le sien, la Demanderesse intente un recours en injonction permanente et en dommages. Les quatre Défenderesses sont toutes des compagnies liées, mais une seule a une présence au Canada ou y effectue des ventes. C'est pourquoi les trois autres Défenderesses demandent à la Cour de rejeter le recours à leur égard faute de juridiction.
 
Saisie de la question, l'Honorable juge Marie-Claude Lalande rejette la requête, étant d'opinion que la violation alléguée par les Défenderesses des droits de propriété intellectuelle de la Demanderesse entraîne nécessairement un préjudice pour la Demanderesse au Québec:
[39] Les faits de la présente cause et l’interrogatoire de M. Capon permettent de constater qu’il existe un lien réel et substantiel entre la source de l’action et la juridiction du Québec. La structure corporative mise de l’avant par l’âme dirigeante des différentes entités de Foxmind ne devrait pas permettre de se soustraire à la compétence des tribunaux québécois. 
[40] Aussi, il y a lieu de conclure que les violations de droit alléguées par Filosofia relativement à sa marque de commerce et ses droits d’auteurs lui causent préjudice au Québec. 
[41] Cette situation n’est pas sans rappeler celle décrite dans l’affaire MP3 Networks dans laquelle le juge Castiglio conclut en ces termes le préjudice subi à la suite d’une violation de droits à l’égard d’une marque de commerce : 
L’entreprise qui subit des dommages par suite de la violation de ses droits d’auteurs ou marques de commerce subit nécessairement un préjudice, tout au moins partiellement, à l’endroit où est situé son siège social. 
[42] En conséquence, le Tribunal conclut qu’il a compétence pour entendre le présent litige.
Commentaire:

Respectueusement, le raisonnement de la Cour dans cette affaire me semble incorrect puisque je ne pense pas que l'on puisse automatiquement conclure qu'une compagnie québécoise qui allègue violation de sa marque de commerce ou son droit d'auteur subie une préjudice au Québec. Prenons l'exemple facile d'une compagnie québécoise qui n'effectuerait pas de ventes au Québec. De toute évidence, elle ne subirait pas de préjudice dans la province suite à la confusion alléguée.
 
Le 12 mars 2012 et le 31 janvier 2013, nous attirions votre attention sur des décisions de la Cour d'appel qui posaient clairement le principe voulant que pour établir un préjudice subi au Québec, il faut démontrer que des ventes sont perdues dans la province. Ces décisions se voulaient l'extension logique de la décision de la Cour dans  Option Consommateurs c. Infineon Technologies AG (2011 QCCA 2116) (voir notre billet du 21 novembre 2011 sur celle-ci) où elle soulignait qu'il n'était pas suffisant pour une compagnie québécoise de comptabiliser une perte au Québec pour donner juridiction aux tribunaux québécois.
 
Appliqués aux faits de l'affaire présente, ces principes auraient dû mener la Cour à conclure qu'elle n'avait pas juridiction pour entendre le recours contre les trois Défenderesses étrangères sur la simple foi des allégués de confusion. En effet, au paragraphe 17 de la décision, la Cour souligne que les trois Défenderesses en question utilisent le logo en litige et font des ventes en Europe et aux États-Unis. Il s'en suit nécessairement qu'elles ne causent pas de perte de ventes au Québec et qu'il n'y a donc pas de préjudice subi ici en raison de la confusion que la Demanderesse allègue être créée par ces Défenderesses.
 
Pour cette raison, je suis en désaccord avec l'énoncé de principe mis de l'avant dans cette affaire.
 
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/18M0CQI

Référence neutre: [2013] ABD 236

Autre décision citée dans le présent billet:

1. MP3 Networks c. Pena, 2009 QCCS 4531.

2 commentaires:

  1. Pour ceux que cette affaire intéresse (comme moi), j'attire votre attention sur le fait que l'Honorable juge Yves-Marie Morissette a accordé la permission d'en appeler du jugement le 23 août 2013: http://www.jugements.qc.ca/php/decision.php?liste=70760994&doc=607A16A96E4D28032A76099AB43C0D6D41A96EB31AA1236C9E9809F7EE5975D2&page=1

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  2. Sans nécessairement adopté tous les motifs de la juge de première instance, la Cour d'appel vient de confirmer le jugement: http://www.abondroit.com/2014/03/la-structure-corporative-dun-groupe-de.html?spref=tw

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