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Nous avons souvent attiré votre attention sur des situations où - pour les fins d'une injonction provisoire ou interlocutoire - l'impossibilité d'obtenir l'exécution en nature est considérée être en soi un préjudice irréparable (on parle habituellement de la violation de clauses restrictives). Cela ne veut pas pour autant dire que toute inexécution contractuelle constitue un préjudice irréparable. La décision récente rendue par l'Honorable juge Gregory Moore dans l'affaire 9129-2086 Québec inc. c. 9356-6503 Québec inc. (2018 QCCS 96) illustre bien ce principe.
Dans cette affaire, la Demanderesse - propriétaire d'un immeuble commercial - recherche, par voie d'injonction interlocutoire, l'expulsion de la compagnie qui occupe ses locaux. Elle allègue que la Défenderesse occupe les lieux suite à une cession de bail qu'elle n'a pas été autorisée et qui contrevient aux modalités du bail principal.
La Demanderesse ajoute qu'elle subit un préjudice irréparable, puisqu'il est de l'essence même du louage commercial que l'on puisse choisir son locataire et le niveau de risque que l'on est prêt à accepter.
La Défenderesse rétorque qu'elle paie son bail à tous les mois et que la Demanderesse ne subit aucun préjudice irréparable. Elle plaide donc qu'elle a droit de demeurer dans les lieux jusqu'à ce que la Cour tranche le litige au mérite.
Après analyse, le juge Moore se rallie à la position de la Défenderesse. En effet, même si la Demanderesse semble avoir un droit clair en l'instance, on ne saurait parler pour l'instant d'un préjudice irréparable alors qu'elle continue de revoir le loyer entier:
[55] Le préjudice sérieux ou irréparable est une perte qui ne peut pas être quantifiée ou compensée par l’octroi de dommages-intérêts. Il s’agit d’une perte qui se réalisera avant le procès à moins qu’une injonction ne soit prononcée.
[56] La demanderesse cite une certaine jurisprudence selon laquelle le non-respect d’une clause contractuelle constituerait en soi un préjudice irréparable. Par contre, les contrats en question protégeaient l’achalandage d’entreprises contre la concurrence. Le préjudice était donc le risque de perdre cet achalandage plutôt que le non-respect des contrats. Ces décisions ne trouvent pas application dans le présent dossier.
[57] La demanderesse cite d’autres autorités au soutien du principe voulant que l’abandon des lieux par un locataire constitue un préjudice sérieux. Elle avance que la faillite de 6420 en août 2017 constitue un abandon qui donne droit à la résiliation du bail.
[58] Toutefois, la preuve révèle que les lieux n’ont pas été abandonnés : 6503 occupe les lieux et paie le loyer.
[59] Ensuite, aux paragraphes 40 à 44 de sa Demande remodifiée, la demanderesse explique que la compagnie TBOS attend l’expulsion des défendeurs avant de commencer deux mois de rénovations et, par la suite, occuper les lieux.
[60] La demanderesse craint d’être poursuivie par TBOS si elle ne peut pas occuper les lieux bientôt. Même s’il s’agissait de dommages chiffrables, elle n’est pas certaine de pouvoir les récupérer des défendeurs à cause de leur présumée instabilité financière.
[61] La demanderesse explique également qu’elle a avisé son assureur d’un risque potentiel accru dû au fait que des personnes non autorisées possèdent les clés de l’immeuble. Elle craint que l’assureur résilie son contrat d’assurance. Dans cette éventualité, le courtier en assurances de la demanderesse ne croit pas qu’elle pourra trouver une nouvelle police aussi avantageuse que celle qu’elle détient actuellement.
[62] Selon la preuve admissible, il s’agit de préjudices hypothétiques qui ne peuvent donner droit à une injonction interlocutoire.
[63] Finalement, la demanderesse avance que les travaux envisagés par TBOS augmenteront la valeur de l’immeuble et qu’elle subit un préjudice tant que la pleine valeur de l’immeuble n’est pas réalisée.
[64] Par contre, ces travaux ne pourront être entrepris que si le juge du fond détermine que 6503 doit quitter les lieux.
[65] La demanderesse pourra, s’il y a lieu, réclamer ces préjudices dans le cadre de la demande pour une injonction permanente et dommages-intérêts qu’elle a déposée le 30 novembre 2017.
Référence : [2018] ABD 31
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