jeudi 22 janvier 2015

La concurrence déloyale à laquelle une partie fait face est, en soi, un préjudice irréparable

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Nous avons déjà souligné que l'on a pas besoin d'attendre qu'un préjudice grave se concrétise afin obtenir une injonction pour faire respecter une clause restrictive. La logique de cette réalité tient au fait que le préjudice irréparable est la concurrence illicite à laquelle on fait face et non pas la perte de clientèle que cette concurrence peut engendrer. L'Honorable juge Daniel Dumais applique cette même logique dans l'affaire 9048-2688 Québec inc. c. Logiag inc. (2015 QCCS 72).



Dans cette affaire, le juge Dumais est saisi de la demande d'injonction provisoire présentée par la Demanderesse. Cette dernière recherche en effet l'émission d'une ordonnance enjoignant à la Défenderesse d'exécuter des transferts de données informatiques, de cesser une promotion marketing actuellement en cours et de lui interdire de solliciter sa clientèle.
 
La Demanderesse allègue que la Défenderesse lui livre une concurrence déloyale. Elle plaide que les parties ont signé une entente de collaboration dont la Défenderesse ne respecte pas les modalités, mais, au contraire, joue dans son dos et sollicite sa propre clientèle. 
 
Au chapitre du préjudice irréparable, la Défenderesse fait valoir que la Demanderesse n'a pas fait la preuve d'une perte de clientèle, de sorte que sa demande doit être rejetée.
 
Après analyse, le juge Dumais rejette cette prétention de la Défenderesse. Il souligne à cet égard que le préjudice vient de la concurrence déloyale et non pas de la perte de clients:
[69]        La jurisprudence applique ce critère avec une certaine souplesse lorsqu'il s'agit d'appropriation de clientèle dans le cadre d'une concurrence déloyale. 
[70]        Ainsi, dans Aliments Midlon Foods inc. c. Mammarella, M. le juge Chaput de notre Cour s'exprime ainsi quant au préjudice sérieux ou irréparable: 
« [47]   En matière de concurrence déloyale, il n'est pas nécessaire d'attendre que soit concrétisée la perte de clientèle ou d'affaires avant de conclure à la nécessité d'une injonction.  
[48]      Comme l'écrit le juge Malouf dans l'arrêt Vidéotron Ltée c. Industries Microlec produits électroniques Inc:  
« Les appelantes ont raison de soutenir que c'est précisément au moment où la pénétration n'a pas atteint un degré irréversible que le recours à l'injonction devient approprié et efficace. Le statu quo qu'il convient de protéger est celui antérieur à la situation litigieuse et no celui créé par les actes des intimées. »
[49]      Et dans l'arrêt Lessard c. Givesco inc., division Les produits de Ciment Winsor, la Cour d'appel statue dans le sens suivant:  
  
             [2]        C'est donc à bon droit qu'une injonction a été émise contre eux puisque l'existence d'un droit prima facie a été établie. De plus, il est de jurisprudence constante que la perte de clientèle est difficile à évaluer et que cela constitue un préjudice sérieux et irréparable. » 
[71]        Ce constat est également repris par M. le juge Samson dans Ecololed inc. et al c. Vachon et al
« [26] Comme le rappelle la Cour d'appel, la pertes de clientèle dans le contexte d'une ordonnance recherchée pour concurrence déloyale constitue un préjudice sérieux et irréparable en raison de la difficulté à en faire la juste évaluation. » 
[72]        Ces décisions sont sans doute inspirées par ce passage du volume sur l'injonction rédigé par cinq auteurs dont deux juges de la Cour d'appel: 
« (…) Le critère du préjudice sérieux ou irréparable doit également être examiné lors d'une demande d'injonction interlocutoire. Que son objectif vise à se prémunir contre des tactiques déloyales ou encore à faire cesser la violation d'une stipulation de non-concurrence, le créancier de l'obligation fait face, en cas de contravention du débiteur, à des répercussions au niveau de sa clientèle, de son chiffre d'affaire, de son prestige, etc.  
La jurisprudence reconnaît généralement que la compensation en dommages-intérêts pour la perte de clientèle est un recours insatisfaisant et aléatoire parce que le dommage est difficilement mesurable de telle sorte qu'il devient irréparable. » 
[73]        Fort de ces principes, le soussigné estime qu'il y a lieu de considérer, en l'instance, que la condition est satisfaite. On ne connaît pas l'étendue du dommage à ce jour, mais les interrogatoires permettront à la demanderesse de savoir ce qui en est. 
[74]        Quelque soit le nombre de clients perdus, à date, il n'apparaît pas logique de faire perdurer la situation sous prétexte qu'on réclamera plus tard. La défenderesse n'a pas agi correctement et sa manœuvre doit cesser. 
[75]        S'il s'avère possible de connaître le nombre de clients perdus, il n'est pas réaliste d'en mesurer le préjudice réel et concret, notamment au niveau de la durée, de la perte, de l'effet d'entraînement et de l'impact de la chute des prix.
Référence : [2015] ABD 31

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