lundi 11 janvier 2016

Ce ne sont pas toutes les inexécutions contractuelles qui constituent un préjudice irréparable pour les fins d'une injonction

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous avons déjà traité du fait que l'exécution en nature est la règle en droit québécois et du fait que, dans certaines circonstances, être privé de l'exécution en nature est un préjudice irréparable pour les fins d'une injonction. Cependant, comme le souligne l'Honorable juge Stephen W. Hamilton dans Binette c. Petrifond Fondation Compagnie ltée (2016 QCCS 48), toute inexécution en nature n'est pas un préjudice irréparable.



Dans cette affaire, le Demandeur a intenté un recours en oppression contre la Défenderesse dans lequel il allègue avoir été congédié par la Défenderesse pour les seules fins d'être obligé de vendre ses actions. Cette dernière, par voie d'ordonnance de sauvegarde, recherche l'émission d'ordonnances pour la vente forcée et le rachat des actions du Demandeur. 

La Défenderesse fait valoir que la convention entre actionnaires prévoit le rachat forcé des actions de la personne qui est congédiée et les conditions de ce rachat, de sorte qu'elle a droit à une ordonnance de rachat immédiate.

Pour nos fins d'aujourd'hui, nous sommes intéressés par la décision rendue par le juge Hamilton au chapitre du préjudice irréparable. La Défenderesse fait valoir que son préjudice découle du fait qu'elle a droit à l'exécution en nature du contrat et que d'en être privé serait un préjudice irréparable.

Le juge Hamilton ne partage pas l'opinion de la Défenderesse sur la question et souligne que si certaines inexécution contractuelle peuvent équivaloir à un préjudice irréparable (une contravention à des clauses restrictives par exemple), ce ne sont certes pas toutes les inexécutions qui constituent un tel préjudice:
[45]        Petrifond plaide d’abord que ce critère ne s’applique pas lorsque l’ordonnance recherchée a pour objet de faire respecter un contrat. Elle cite à l’appui de cette proposition l’arrêt de la Cour d’appel dans Place Versailles Inc. c. Maison de Choix Inc. 
[46]        On ne peut tirer de cet arrêt un principe général que le préjudice sérieux ou irréparable n’est pas nécessaire dans le cas d’une injonction pour faire respecter un contrat. Un tel principe irait à l’encontre du langage clair des articles 752 C.p.c. et 511 N.c.p.c., qui requiert un tel préjudice dans tous les cas, sans exception pour les dossiers contractuels. 
[47]        Dans Place Versailles, il s’agissait d’une injonction interlocutoire pour empêcher le locateur d’enfreindre la clause d’exclusivité dans le bail du demandeur. On peut facilement comprendre que le Tribunal ait conclu au préjudice sérieux ou irréparable sans être très exigeant quant à la preuve. Dans St-Pierre, il s’agissait d’une injonction interlocutoire pour empêcher des travaux qui bloquaient un droit de passage. Le juge conclut qu’il y a préjudice, mais qu’il ne peut en vérifier le montant avec exactitude. 
[48]        Le Tribunal conclut donc que la partie qui demande une injonction interlocutoire ou provisoire ou une ordonnance de sauvegarde doit toujours prouver un préjudice sérieux ou irréparable, mais que le Tribunal peut être moins exigeant quant à la preuve requise dépendant de la nature de l’obligation et du préjudice. 
[49]        Dans le cas présent, il est question de rachat d’actions. Il n’y a pas lieu à présumer que Petrifond subira un préjudice sérieux ou irréparable si le rachat est retardé jusqu’au jugement sur le mérite.  
[50]        Petrifond doit donc alléguer et prouver ce préjudice. 
[...] 
[53]        Cette preuve n’établit aucun préjudice sérieux ou irréparable. 
[54]        À l’audience, il a aussi été question de la présence de Binette ou son procureur aux assemblées des actionnaires et les demandes de Binette ou son procureur pour des informations. Il est loin d’être clair qu’il s’agit d’un préjudice sérieux ou irréparable. De toute façon, des mesures moins sérieuses que le rachat des actions pourraient pallier à ces problèmes. 
[55]        En conséquence, Petrifond n’a pas réussi à prouver que les ordonnances recherchées sont nécessaires pour empêcher qu’un préjudice sérieux ou irréparable ne lui soit causé.  
[56]        La requête de Petrifond sera donc rejetée.
Référence : [2016] ABD 14

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