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À moins de circonstances très exceptionnelles, les tribunaux ne se pencheront pas sur des questions qui sont devenues théoriques. Ce n'est pas seulement par soucis d'une saine administration de la justice, mais également parce que la partie qui amène une question devant les tribunaux doit maintenir son intérêt pour agir à toute les étapes de sa procédure. Lorsqu'elle perd cet intérêt, les procédures intentées par cette partie doivent être rejetées. C'est ce que rappelle l'Honorable juge Ian Demers dans X c. Students' Society of McGill University (2025 QCCS 1534).
Dans cette affaire, la Demanderesse allègue que, jusqu’à la fin de son programme en 2024, elle était membre de la Students’ Society of McGill University, qui représente plus de 8 000 étudiants de premier cycle. En 2023, l’Association a tenu un référendum en vue de l’adoption de la Policy Against Genocide in Palestine, une politique sur l’intervention de l’armée israélienne à Gaza qu’elle considère être le théâtre d’un génocide.
La Demanderesse, une étudiante de confession juive, estime que la politique est contraire à la Constitution de l’Association et brime ses droits. Elle a présidé le camp du « non » pendant le référendum. La politique a été adoptée par une large majorité.
Le problème procédural dont est saisi le juge Demers est que la Demanderesse n'est maintenant plus membre de l'Association. Il doit donc décider si elle a toujours l'intérêt pour agir.
La Demanderesse plaide que dans la mesure où elle avait l'intérêt pour agir au moment du dépôt de son recours, elle conserve cet intérêt pendant le reste du litige. Malheureusement pour elle, le juge Demers rejette cette position et conclut que l'affaire est maintenant purement théorique et que la Demanderesse n'a plus l'intérêt pour continuer son recours en injonction:
[13] Un intérêt suffisant est « juridique, direct et personnel, et né et actuel » à l’égard du droit substantiel invoqué. Contrairement à ce que plaide X, l’intérêt doit être continu à toute étape de l’instance — « actuel » — et non seulement lors du dépôt de la demande introductive d’instance. Autrement, les tribunaux instruiraient des litiges théoriques sans se demander si leur jugement aura un effet concret et sans exercer consciemment leur pouvoir discrétionnaire d’instruire une affaire malgré son caractère théorique.
[14] Le principe sous-jacent à la règle du caractère théorique est qu’un tribunal devrait refuser d’instruire une affaire s’il n’est pas appelé à résoudre un différend ou statuer sur les droits des parties. La question se pose nécessairement à toute étape de l’instance :En conséquence, si, après l’introduction de l’action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu’il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique générale s’applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n’exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l’appliquer.[15] Les principes qui se dégagent de l’arrêt Borowski trouvent écho dans le critère qui définit la suffisance de l’intérêt : un intérêt « actuel » « existe, se passe au moment où l’on parle ».
[16] Cette interprétation s’aligne avec la jurisprudence qui, si elle n’a pas expressément traité la question soulevée en l’espèce, a interprété l’expression « né et actuel » comme renvoyant « à un droit déjà méconnu, dénié ou menacé, et non à une situation éventuelle hypothétique ou à une menace purement hypothétique d’un droit ». Elle s’arrime avec la règle qui veut qu’en principe, l’intérêt soit mesuré au moment du dépôt. Un principe suppose nécessairement qu’il peut être assorti d’exception. L’arrêt Borowski en est le meilleur exemple; au moment de l’institution des procédures, M. Borowski avait l’intérêt pour contester les dispositions antiavortement du Code criminel. Il ne l’avait plus en 1989 du fait de l’arrêt R. c. Morgentaler, qui les avait invalidées l’année précédente.
Référence : [2025] ABD 204
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