Renno Vathilakis Inc.
Nous avons déjà traité dans le passé des conditions d'ouverture du recours en congédiement déguisé en droit québécois et plus spécifiquement du fait que l'employé qui allègue un tel congédiement doit manifester son objection en temps utile. La décision récente rendue par la Cour d'appel dans Sobeys Québec inc. c. Raby (2021 QCCA 635) est intéressante parce qu'elle se penche sur le délai avant que cette objection se manifeste.
Dans cette affaire, l'Appelante se pourvoit contre un jugement de première instance rendu par l'Honorable juge Sylvain Lussier qui a conclut à congédiement déguisé et l'a condamné à payer une indemnité de terminaison équivalente à 15 mois de salaire.
L'Appelante soulève plusieurs arguments en appel. Celui qui nous intéresse particulièrement aujourd'hui est que l'Intimée aurait trop tardé avant de manifester son opposition aux nouvelles conditions de travail qui lui ont été proposées suite à l'abolition de son poste.
La difficulté réside dans le fait que l'Intimée est en congé de maladie au moment de l'abolition de son poste et au moment où on lui présente son nouveau poste (et les conditions qui y sont afférentes). Bien qu'elle ne s'objecte pas immédiatement, elle ne travaillera jamais non plus dans le nouveau poste offert.
Une formation unanime de la Cour composée des Honorables juges Bouchard, Bélanger et Baudouin en vient à la conclusion que l'argument de l'Appelante doit échouer. En effet, la date clé est celle où le nouvel emploi doit débuter et non la date où l'on informe l'Intimée de ses nouvelles conditions. Ainsi, on ne peut reprocher à l'Intimée de ne pas avoir manifesté son opposition avant la date de son retour au travail:
[31] Afin de pouvoir conclure à un congédiement déguisé, outre que de vérifier l’intention des parties lors de la formation du contrat et de déterminer si les modifications imposées par l’employeur touchent des conditions essentielles du contrat de travail, il faut aussi, comme le mentionnent des auteurs, s’assurer que l’employé.e a réagi en temps utile, et a « d’une quelconque façon manifesté son refus à l’égard des nouvelles conditions qui lui sont imposées. À défaut d’une telle manifestation, il sera forclos de prétendre a posteriori, avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé. ».
[...]
[33] Une analyse de la preuve présentée mène à conclure que l’on ne peut faire reproche à l’intimée d’avoir manifesté son refus à l’égard des nouvelles conditions d’emploi offertes par l’appelante avant son retour anticipé au travail. Tout comme dans l’arrêt IBM de notre Cour, il s’agit d’un cas où la date à laquelle on veut forcer l’intimée à occuper un poste hiérarchiquement inférieur doit être retenue, plutôt que celle où on lui annonce les changements ou encore où on lui fait part des nouvelles conditions d’emploi.
[34] Lorsque l’appelante décide d’abolir le poste de l’intimée et qu’elle lui présente, en septembre et novembre 2014, son offre et les conditions d’emploi afférentes, l’intimée ne travaille pas. Elle est en congé de maladie. La preuve ne révèle pas qu’elle a exprimé une acceptation ou un refus de la proposition de l’appelante à ce moment. En fait, la preuve tend plutôt à démontrer que l’intimée n’était pas dans un état lui permettant de prendre une telle décision. [...]
[...]
Référence : [2021] ABD 166[38] Il ne s’agit pas d’un cas ou un employé effectue une nouvelle prestation de travail au sein de son employeur pendant des semaines, voire des mois, avant de manifester son désaccord ou son refus aux changements apportés à ses conditions d’emploi. Comme l’intimée était en congé de maladie durant les évènements ayant mené à l’abolition de son poste et pendant les décisions prises par l’appelante relatives aux changements à ses conditions d’emploi, la Cour estime que son silence avant le moment où elle est devenue apte à retourner travailler ne constitue pas une acceptation tacite des conditions imposées par l’appelante.
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