mardi 8 février 2011

L'employé qui allègue congédiement déguisé doit avoir manifesté clairement son refus des nouvelles conditions de travail imposées par l'employeur ou menacé de démissionner à la suite de l'imposition de celles-ci

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Nous avons souvent traité du concept de congédiement déguisé sur le Blogue et noté que les tribunaux exigent la preuve de modifications substantielles des conditions de travail d'un employé pour pouvoir conclure à un tel congédiement. Or, comme nous le rappelle l'Honorable juge Claude Dallaire dans Bergevin c.  Gestion Picard, Dubuc inc. (2011 QCCS 111), l'employé doit également établir qu'il n'a pas accepté, explicitement ou implicitement, ces nouvelles conditions de travail. Cela implique une objection presque immédiate à ces nouvelles conditions.


Le Demandeur a travaillé pendant 15 ans pour la Défenderesse; 10 ans comme comptable et 5 ans comme gérant de pharmacie. En septembre 2207, il remet sa démission, à la suite d'un congé de maladie qui est survenu deux mois et demi après la confirmation d'une modification qu'il estime essentielle de son contrat de travail, soit les modalités d'évaluation de son bonus annuel. En février 2008, il intente un recours en dommages contre son ex-employeur pour congédiement déguisé et réclame un préavis de deux ans, le paiement des avantages prévus dans son contrat, les pertes de revenus pour la période où il était en congé de maladie ainsi que des dommages moraux.

La juge Dallaire analyse le comportement du Demandeur et en vient à la conclusion que sa réclamation pour congédiement déguisé ne peut être accueillie puisque celui-ci a implicitement accepté les modifications à son contrat d'emploi:
[68] En janvier 2007, alors qu'il ne reçoit pas la totalité du RÉER qui lui est dû selon son contrat initial, il continue à livrer sa prestation travail, bien que le faisant en maugréant.
[69] En février 2007, alors qu'il est avisé qu'il recevra un bonus cinq fois moins élevé que celui qu'il s'attendait d'avoir en vertu de son contrat, et qui représente à peu près 40 % de son salaire, il continue à travailler jusqu'à sa rencontre avec Monsieur Picard, un mois plus tard.
[70] Au lendemain de cette rencontre, il est toujours en poste et ce, même si le contrat initial n'est pas appliqué dans son intégralité.
[71] Certes, il a fait des gains lors de cette rencontre, mais le bonus qu'il reçoit n'est pas celui prévu à son contrat et les ajustements faits par Monsieur Picard sur le bonus de Monsieur Bergevin pour l'année 2007 sont clairement basés sur la formule Pharmaprix.
[72] Monsieur Bergevin ne se manifeste d'aucune façon à la suite du mémo qui confirme les conditions applicables à son bonus pour les années 2006 et 2007.
[73] Malgré tout, il continue d'exécuter sa prestation travail durant deux mois et demi, jusqu'à ce qu'il parte en congé de maladie.
[74] Ce n'est qu'en septembre qu'il annonce sa démission, après avoir mûrement réfléchi à son avenir au cours de sa convalescence, un peu plus de 5 mois plus tard.
[75] Ces faits créent une présomption grave précise et concordante que Monsieur Bergevin a implicitement accepté ses nouvelles conditions de travail, même s'il était mécontent de ce changement, qu'il était déçu et qu'il a verbalisé qu'il n'acceptait pas le changement dans la méthode d'évaluation de son bonus.
Ce faisant, elle applique une jurisprudence constante qui exige que l'employé dont les conditions de travail sont substantiellement modifiées se manifeste rapidement:
[81] Le Tribunal applique les arrêts Desruisseaux c. Aon-Parizeau inc., Compagnie d'assurances c. Chouinard et les décisions Lizotte c. Legault, Gilbert c. Hôpital Général de Lachine, Drolet c. RE/MAX, Le Groupe Commerce, Fleurexpert inc. c. Trudel, Lebrun c. Groupe Promutuel, Savoie c. Le Groupe Vertdure inc. et Szyk c. Corporation Jet Worldwide, qui confirment que si l'employé ne manifeste pas clairement son refus à l'égard de nouvelles conditions de travail imposées par l'employeur ou qu'il ne menace pas de démissionner à la suite de l'imposition des nouvelles conditions ou qu'il ne démissionne pas dans un délai rapide mais continue plutôt d'exercer son travail durant quelques mois à la suite d'un tel changement, cela permet de conclure que cet employé a implicitement accepté les modifications que l'employeur lui a imposées.
[82] Les faits de cette cause, interprétés à la lumière des principes jurisprudentiels applicables, ne démontrent pas que Monsieur Bergevin a été victime d'un congédiement déguisé. Sa réclamation est en conséquence mal fondée.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/eEOfsc

Référence neutre: [2011] ABD 45

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. Desruisseaux c. Aon-Parizeau inc., J.E. 2003-212 (C.A.).
2. Groupe Commerce (Le), compagnie d'assurances c. Chouinard, J.E. 95-474 (C.A.).

1 commentaire:

  1. Attention, il est important de remettre les faits de cette affaire en perspective.

    Tout d'abord, comme l'a si bien fait remarquer la Cour d'appel ainsi que la Cour supérieure dans leur décision, la jurisprudence ne prévoit pas le congédiement comme sanction automatique à tous les travailleurs qui falsifient un certificat médical. Elle enseigne qu'il est important de tenir compte du contexte entourant la commission de cette falsification car ce ne sont pas toutes les situations qui entraînent une rupture irrémédiable du lien de confiance.

    Justement, tel est le cas du dossier sur lequel s'est prononcé la Cour d'appel. Il a été mis en preuve que la travailleuse s'est absentée de son travail pour une cause de maladie, qu'elle s'est présentée à l'urgence et qu'elle a demandé un certificat médical tel que l'avait exigé son employeur. Or, le certificat ne contenait aucune mention du diagnostique ni de la raison de sa consultation. C'est donc la mère de la travailleuse, qui l'avait accompagnée à l'urgence qui est retournée pour demander des précisions et l'infirmière a ajouté la mention "vomissement" sur le certificat. C'est cette mention qui est au coeur de l'accusation de falsification.

    Il est également impératif de mentionner qu'il a été mis en preuve que le dossier médical de la travailleuse mentionne la même raison de consultation que la note de l'infirmière.

    Nous sommes donc ici très loin du cas d'un travailleur qui falsifie un certificat médical afin de s'octroyer un congé qui ne serait pas médicalement justifié.

    En conséquence, je considère avec respect pour l'avis contraire, que si la Cour d'appel avait renversée la décision, elle aurait imposé un fardeau beaucoup trop lourd à une travailleuse qui, de bonne foi, a tenté de respecter la demande de son employeur en lui fournissant un certificat médical qui explique véritablement la raison de son absence au travail.

    Julie Desrosiers
    Castiglio & Associés

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