samedi 21 mars 2020

Par Expert: Ce n'est pas parce qu'un expert fait un survol des lois et normes applicables que son rapport devrait être rejeté

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous avons déjà traité du fait qu'est inadmissible en preuve le rapport qui porte principalement sur le droit québécois, puisque l'expert ne peut usurper la fonction du juge en tant que maître du droit. Reste que ce n'est pas parce qu'un expert explique ou réfère au cadre législatif dans lequel ouevre une industrie particulière que l'on doit exclure cette expertise. C'est ce que souligne l'Honorable juge Martin Bureau dans l'affaire Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (2020 QCCS 1005).



Dans cette affaire de recours collectif, les Défenderesses demandent le rejet de l'expertise déposée par la Procureure générale du Québec au motif que l'expert en question se prononce sur des questions de droit québécois.

Le juge Bureau constate effectivement que l'expert s'aventure sur le terrain du droit québécois et parfois même trop loin en se prononçant sur des questions de droit. Reste qu'il juge possiblement utile et pertinent d'avoir un survol de la législation et des normes pertinentes en la matière. 

Pour cette raison, le juge Bureau rejette la demande des Défenderesses:
[107] Le Tribunal considère que le rapport Gaudet constitue, jusqu’à un certain point, une vulgarisation ou un survol de l’ensemble des normes adoptées par le législateur canadien pour le transport de produits dangereux.  
[108] De la même manière qu’un policier pourrait éclairer le Tribunal sur la façon dont les forces de l’ordre interprètent elles-mêmes et appliquent factuellement les diverses normes réglementaires ou certaines dispositions légales, le Tribunal considère qu’il peut être approprié, utile et instructif de connaître de quelle manière, sur le terrain, tant les intervenants eux-mêmes, qu’ils soient transporteurs ou clients appliquent, selon les us et coutumes, la réglementation et également d’être éclairé sur la façon dont ceux qui ont la responsabilité de la vérification de ces normes et de leur application, comprennent leur travail et l’effectuent.  
[109] Évidemment, l’application ou l’interprétation que peuvent faire les intervenants de toute sorte, impliqués dans le transport de marchandises, et la lecture ou la mise en œuvre qu’en font les inspecteurs, ne constituent pas en soi et de façon absolue l’application ou l’interprétation que doit en faire le Tribunal. 
[110] La connaissance par le Tribunal des usages, coutumes, manières de se comporter dans le domaine ferroviaire peut être utile et appropriée afin de lui donner un portrait complet de toutes les circonstances relatives à la responsabilité et aux obligations des parties concernées. 
[111] Il est apparent que certaines observations ou conclusions du Rapport Gaudet s’approchent et peut-être même franchissent la délicate frontière qui délimite les rôles respectifs de l’expert et du juge. Le Tribunal fait siennes les observations sur ce sujet de l’honorable juge Gilles Blanchet de la Cour supérieure dans la décision SPG Hydro c. PGQ :
« [19] D’entrée de jeu, toutefois, le Tribunal doit constater que dans certains passages de son rapport, et en particulier dans la section des conclusions, les observations de l’experte Christodoulou paraissent s’approcher, voire même franchir la délicate frontière qui délimite les rôles respectifs de l’expert et du juge. Cela dit, une lecture attentive du même document impose de conclure qu’en dépit de quelques incursions apparentes dans le champ droit, ce rapport conserve sa pertinence et sa pleine validité, cela par de nombreuses références aux usages courants et aux règles de l’art ayant cours dans le domaine de la construction de ponts et autres structures de même nature. En cela Madame Christodoulou met à profit non seulement ses connaissances théoriques, mais aussi son expérience pratique dans le domaine de la préparation de soumissions et de la planification de chantier dans un domaine de construction spécialisé. »
[112] Les explications et les détails relatifs aux usages courants, aux règles de l’art et à la manière dont, sur le terrain, sont appliquées diverses règles ou normes relatives à la sécurité du transport de matières dangereuses, peuvent aussi être le résultat de connaissances théoriques et également pratiques de l’auteur du rapport dans la mise en place de diverses règles de sécurité. 
[113] De toute évidence, ce sera le rôle du Tribunal, en fonction de l’ensemble de la preuve qui lui sera présentée et des arguments des procureurs de chacune des parties quant à la législation applicable, de déterminer ce qu’il considère être les règles et les normes applicables et d’évaluer si elles ont été respectées et éventuellement si leur non-respect constitue une faute civile.

[…] 
[116] Bien qu’à première vue l’on puisse considérer que l’expert se prononce sur des questions de droit, ou donne son opinion sur des aspects légaux, cela n’apparaît pas, à ce stade-ci, suffisant pour conclure qu’il faut écarter son expertise. 
[117] Le Tribunal reçoit cette expertise comme étant celle d’une personne qui a œuvré pendant de nombreuses années dans le domaine de l’inspection ferroviaire.
Référence : [2020] ABD Expert 12

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