lundi 23 mars 2020

La novation par changement de dette nécessite la démonstration d'une intention claire de nover et la création d'une dette incompatible avec la dette initiale

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous avons déjà discuté des enseignements des tribunaux québécois en matière de novation par changement de dette. Si celle-ci est indéniablement possible, il n'en reste pas moins que l'on doit retrouver une intention claire de la part des parties d'éliminer la première dette et la remplacer par une nouvelle dette, incompatible avec la première. C'est ce que nous rappelle l'Honorable juge Jérôme Frappier dans l'affaire Jamaleddine c. Jamaleddine (2020 QCCS 918).


Les Demandeurs dans cette affaire réclament la somme de 334 557,55$ en vertu d'un contrat de prêt intervenu avec le Défendeur. Ce dernier conteste au motif que ce contrat de prêt a été remplacé par un autre contrat qui prévoit un solde moindre pour le prêt (124 000$).

Saisi de l'affaire, le juge Frappier doit déterminer si la prétention du Défendeur qu'il y a eu novation de dette est supportée par la preuve. 

À ce chapitre, le juge Frappier note que les conditions de la novation de dette sont strictes et que la partie qui l'allègue doit démontrer une intention claire de la part des parties de nover et une dette qui est incompatible avec la première. Le juge Frappier ne retrouve pas ces éléments essentiels dans la preuve:
[65] Comme dernier argument et sans toutefois y référer expressément, Eyad soutient que la signature de l’acte de vente P-4 opère novation quant au contrat de prêt P-3. Selon lui, l’acte de vente P-4 résulte de discussions avec Ahmad et constate l’entente intervenue entre les parties pour modifier à 170 000 $ le prix de vente initial de 380 000 $. 
[66] Le Tribunal rejette cette prétention. 
[67] Au sujet de la novation, le Code civil du Québec prévoit que :
1660. La novation s’opère lorsque le débiteur contracte envers son créancier une nouvelle dette qui est substituée à l’ancienne, laquelle est éteinte, ou lorsqu’un nouveau débiteur est substitué à l’ancien, lequel est déchargé par le créancier; la novation peut alors s’opérer sans le consentement de l’ancien débiteur. 
Elle s’opère aussi lorsque, par l’effet d’un nouveau contrat, un nouveau créancier est substitué à l’ancien envers lequel le débiteur est déchargé. 
1661. La novation ne se présume pas; l’intention de l’opérer doit être évidente.
[68] Dans l’arrêt Clermont-Drolet c. Caisse populaire Desjardins de Sillery, la Cour d’appel énumère les conditions requises pour que s’opère la novation :
[28] En l'espèce, les appelants invoquent plutôt la novation par changement de dette et prétendent qu'une nouvelle dette a été substituée à l'ancienne. 
[29] Le juge Gonthier dans l'arrêt de la Cour suprême Lalonde c. Sun Life du Canada énumère les cinq conditions requises pour constater la novation. Il faut : 
1) qu'il existe une obligation antérieure; 
2) qu'une nouvelle obligation soit créée; 
3) que ces deux obligations diffèrent l'une de l'autre; 
4) que les parties aient démontré leur intention de nover; 
5) qu'elles soient capables de contracter. 
[30] La doctrine et la jurisprudence ont précisé le contenu de ces conditions. Ainsi Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin écrivent : 
Enfin la novation par changement de modalités a lieu lorsque les parties apportent une modification fondamentale à l'obligation. Le changement de modalités ne doit pas toucher seulement l'exigibilité de la dette, mais la nature même de la prestation.  
[…]  
La nouvelle créance doit donc comporter un élément véritablement nouveau par rapport à l'ancienne et pas seulement un élément supplémentaire rattaché à l'ancienne dette ou une simple modification de forme. […] Le critère fondamental permettant de conclure à la présence d'un véritable changement est donc l'incompatibilité des deux obligations. 
[31] De même, les professeurs Didier Lluelles et Benoît Moore soulignent l'importance des faits dans la recherche de l'incompatibilité des obligations quant à leurs éléments fondamentaux : 
Il est plus difficile de saisir la novation par changement de modalités. En effet, la distinction entre la novation et la modification de l'obligation est ici particulièrement délicate. Le changement de modalités doit porter sur un aspect fondamental de l'obligation, les parties doivent avoir l'intention de nover, c'est-à-dire d'éteindre l'obligation et d'en créer une nouvelle, incompatible avec la précédente. […] Ainsi, ne peuvent constituer une novation par changement de dette: la simple modification du terme, le renouvellement d'un prêt, la modification du montant de la prestation, du prêt ou de la marge de crédit, les modalités de paiement ou de remboursement. 
[32] Dans l'affaire Jobin (In re) : Blais, Fortier, Touché, Ross Ltée c. Monarch Life Assurance Co., le juge LeBel écrit : 
Le nouveau contrat, si tant est que l'on puisse utiliser cette expression, apporte certaines modifications quant aux termes de paiement de la rente et à la garantie des taux d'intérêt. L'entente entre les parties est demeurée la même dans ses éléments essentiels. L'assuré Jobin entendait toujours toucher une rente. L'assureur lui garantissait celle-ci à l'aide du capital existant et lui promettait un intérêt déterminé.  
Le capital est toujours resté sous le contrôle de Monarch. Celle-ci avait pris un engagement qui n'a jamais été modifié, de verser une rente à Jobin moyennant le paiement de son capital. Les changements apportés à l'obligation n'ont porté que sur des modalités accessoires et n'ont pu en opérer la novation par une substitution d'une nouvelle dette à l'ancienne. 
[Soulignements dans l’original - références omises]
[69] Or, en l’espèce, Eyad échoue à démontrer la création d’une nouvelle obligation et l’intention des parties de nover. 
[70] L’acte de vente P-4 correspond à la véritable intention des parties qui comporte deux volets.
Référence : [2020] ABD 117

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