mercredi 6 avril 2016

Une décision récente de la Cour supérieure opine que le montant brut des honoraires extrajudiciaires encourus par une partie n'est pas protégé par le secret professionnel (et je ne suis pas d'accord)

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

J'ai souvent publié des billets traitant du fait que le montant des honoraires extrajudiciaires encourus par une partie est couvert par le secret professionnel (vous pouvez consulter mes billets d'octobre 2015, de mars 2015 et de septembre 2010 sur la question), à moins qu'une partie réclame le remboursement de ces honoraires (ce qui opère renonciation au secret). Or, dans la décision rendue qu'il a rendu dans l'affaire Rivard c. Éoliennes de l'Érable, s.e.c. (2016 QCCS 1461), l'Honorable juge Marc St-Pierre se déclare en désaccord avec cet énoncé de principe.



Dans cette affaire, les Demandeurs recherchent la communication du montant total d'honoraires extrajudiciaires facturés par les procureurs en défense à leur cliente. Le contexte plus général de l'affaire n'apparait pas du jugement.

Bien qu'il refuse la demande de communication pour d'autres motifs reliés à la proportionnalité, le juge St-Pierre indique en obiter qu'il n'est pas d'accord avec le courant jurisprudentiel qui indique que le montant des honoraires est couvert par le secret professionnel:
[1]           CONSIDÉRANT qu’il (le tribunal) est d’avis, avec respect pour l’opinion contraire, que le montant des honoraires facturés par des avocats(e-s) à leurs clients dans le cas d’un mandat juridique, uniquement le montant des honoraires bruts, sans autres détails quant aux services et aux communications avec le client, ne bénéficie pas en droit civil d’une présomption de confidentialité découlant du privilège de communication avocat - client; 
[2]           CONSIDÉRANT de fait que dans Maranda c. Richer, portant sur une demande d’information sur les honoraires de l’avocat de la défense rattachés à une poursuite criminelle, l’arrêt de la Cour suprême du Canada qui a déterminé une telle présomption, une distinction a été tracée avec l’arrêt de la Cour d’appel dans Kruco, dont l’opinion à la base du jugement a également été rendu par l’honorable Louis Lebel, portant celui-là sur une affaire de droit commercial, où il avait été décidé qu’il n’y avait pas de secret professionnel sur le montant des honoraires des avocats; 
[3]           CONSIDÉRANT donc qu’en réalité, selon l’interprétation du soussigné, la Cour suprême de Canada n’a pas déterminé une présomption de confidentialité à l’égard du montant des honoraires d’un avocat – sans aucune description de services – en droit civil;
Commentaire:

Avec égards, je suis en désaccord avec l'obiter du juge St-Pierre.

D'abord parce que le raisonnement de l'Honorable juge Marc-André Blanchard dans l'affaire Chambre des notaires du Québec c. Canada (Procureur général) (2010 QCCS 4215) sur la question me semble particulièrement convaincant (voir les paragraphes 65 à 79 du jugement) et que je ne vois aucune raison convaincante de faire aujourd'hui une distinction entre le secret professionnel en matière criminelle et civile.

Plus important encore parce que la Cour d'appel a confirmé la décision du juge Blanchard dans Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec (2014 QCCA 552), où les Honorables juges Bich, Léger et Fournier ont indiqué ce qui suit [mes soulignements]:
[79]  Quant aux comptes d'honoraires, les professeurs Royer et Lavallée, en ce qui concerne les avocats, rappellent qu’ils « sont souvent protégés par le secret professionnel ». L'arrêt Maranda c. Richer conclut en effet en ce sens dans un contexte de droit criminel et la jurisprudence québécoise a statué de même dans bon nombre de situations purement civiles. C'est ainsi que notre cour, sous la plume du juge Robert, alors juge en chef, écrit ce qui suit dans Kansa General International Insurance Company Ltd. (Winding up of), reconnaissant que, prima facie, ce type de renseignement jouit même d'une présomption de confidentialité rattachée au secret professionnel : 
1.                  Are the Invoices prima facie privileged?  
[10]            The Supreme Court restated in Solosky v. The Queen the importance of the solicitor-client privilege to the workings of our justice system, indicating that citizens should be able to place “unrestricted and unbounded confidence in the professional agent” they hire. More recently, the Supreme Court stressed in Descôteaux et al. v. Mierzwinski that “all communications made within the framework of the solicitor-client relationship” are confidential. Finally, in the criminal context of Maranda v. Richer, the Supreme Court ruled that “[the amount of lawyer fees] falls prima facie within the privileged category”.  
[11]            Respondent is right to argue that this question is not at issue, inasmuch as the trial judge recognized the privileged nature of the statements of account in the present case. Consequently, I would answer this first question affirmatively and note that the motions judge did not err in this respect.  
[…]  
[19]      From this review of the cases, one may conclude that statutes should be interpreted as allowing strictly limited invasions of the solicitor-client privilege in civil contexts, albeit to a degree less stringent than in criminal ones.  
[…]  
[24]            Various principles can be found in the cases reviewed. Firstly, the solicitor-client privilege is a substantive rule. In a civil context, it demands that legislation authorizing its curtailment be interpreted in a restrictive way and that the infringement be limited, although not as strictly as in the criminal context. Secondly, a liquidator may request at the same time that creditors prove the amounts of their claims and demonstrate prima facie that the liquidator has the duty to defend them. Thirdly, the legislative objectives of orderly and expeditious liquidation of the company and of limitation of harm to interested parties should guide the action of the liquidator under the Act. Finally, the liquidator has the overall charge of the winding-up operations, he or she enjoys broad discretion in the exercise of its tasks, and should not be bound by the creditors’ preferences.  
[Tous renvois omis.] 
[80]        Il faut souligner que, dans cette affaire, la loi permettait au liquidateur d'une compagnie d'assurance d'exiger la preuve nécessaire à l'examen des réclamations que lui adressaient des assurées. En l'occurrence, la réclamation des assurées concernait les honoraires extrajudiciaires encourus afin de se défendre à l'encontre de diverses actions intentées contre elles.  
[81]        Bref, sans aller plus loin dans l'examen de ce qu'est le « relevé comptable d’un avocat » (ou d’un notaire), on peut conclure que le droit commun québécois reconnaît généralement la confidentialité de l'information se rapportant aux comptes en fidéicommis de ces conseillers juridiques et que, en ce qui concerne les comptes d'honoraires, il existe une présomption de confidentialité.
Je ne peux que présumer que cette décision n'a pas été soumise au juge St-Pierre (son jugement n'en fait pas mention) parce que toute ambiguïté soulevée par l'affaire Kruco me semble avoir été clairement mise de côté.

Référence : [2016] ABD 138

2 commentaires:

  1. Cette question n'est toutefois pas tranchée mais le sera sous peu puisque l'arrêt Chambre des notaires du Québec c. Canada (Procureur général) (2010 QCCS 4215)a été porté en appel devant la CSC et que l'audience a eu lieu en novembre 2015.
    Me Stanislas Bricka

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  2. Merci de la précision Me Bricka.

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