vendredi 8 janvier 2016

Même dans le cadre d'une demande d'autorisation d'intenter une action collective, l'absence de dénonciation du vice caché allégué peut être fatale

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous avons souvent discuté des enseignements récents des tribunaux québécois quant aux conséquences du défaut par un acheteur de dénoncer par écrit à son vendeur l'existence de vices cachés.  À cet égard, on retiendra que la dénonciation tardive de l'existence du vice caché - même très tardive - ne justifie le rejet du recours en vices cachés que lorsque préjudice a été causé à la partie adverse et que l'on ne parlera de rejet que lorsque le défaut de dénonciation a empêché le vendeur de constater l'existence même du vice. Dans l'affaire Nadeau c. Mercedes-Benz Canada inc. (2016 QCCS 7), l'Honorable juge Gary D.D. Morrison applique ces principes dans le contexte d'une demande d'autorisation d'instituer un recours collectif.


Dans cette affaire, le Requérant recherche l'autorisation d'instituer un recours collectif contre les Intimées au motif que certaines automobiles fabriquées par elles et distribuées au Québec sont affectées d’un vice de fabrication.

Plus spécifiquement, le Requérant allègue que certaines automobiles ont des moteurs qui contiennent un pignon d’engrenage affecté d’un vice caché de sorte que le pignon en question, qui est mis en mouvement par la chaîne de distribution du moteur, se désagrège prématurément. 

Les Intimées contestent la demande d'autorisation et font valoir - inter alia - que le recours n'a pas de chance de succès puisque le prétendu vice ne leur a jamais été dénoncé par écrit, faisant en sorte qu'elles n'ont pu vérifier l'existence du vice.

Le juge Morrison, après analyse, en vient à la conclusion que le moyen de contestation mis de l'avant est bien fondé. Selon lui, en ne dénonçant pas le vice - et en n'expliquant pas cette absence de dénonciation - le Requérant pose un geste qui rend son recours irrecevable et fait en sorte qu'il ne fait pas partie du groupe proposé:
[35]        Dans le domaine spécifique des vices cachés, le prétendu créancier, en vertu de l’article 1739 C.C.Q., doit dénoncer le vice au débiteur dans un délai raisonnable suivant sa découverte. 
[36]        Quant au fabricant, ce dernier, étant également débiteur de la garantie de qualité en vertu de l’article 1730 C.C.Q., a droit au même bénéfice procédural qu’un vendeur, soit l’avis de dénonciation de vice. 
[37]        Contrairement à ce que plaide Nadeau, le fait que le débiteur connaissait ou ne pouvait ignorer le vice ne met pas fin automatiquement à l’obligation de dénoncer le prétendu vice.  Dans tel cas, ce n’est que le délai qui est affecté.  Le deuxième alinéa de l’article 1739 C.C.Q. se lit comme suit : 
(…) 
Le vendeur ne peut se prévaloir d'une dénonciation tardive de l'acheteur s'il connaissait ou ne pouvait ignorer le vice. 
[38]        La question de l’absence d’une mise en demeure et d’un avis de dénonciation de vice est très pertinente en l’espèce.  Il faut noter que la Requête de Nadeau ne contient aucune allégation à l’effet qu’il aurait ou que d’autres membres putatifs auraient transmis une mise en demeure ou un avis de dénonciation. 
[39]        N’ayant transmis soit l’un ou l’autre aux Intimées, ces dernières n’ont pas eu l’occasion de vérifier s’il s’agissait bien d’un vice couvert par la garantie contre les vices cachés, de constater les dommages causés ou d’effectuer la réparation ou le remplacement du bien, soit à leurs propres frais ou à un coût inférieur à celui d’un tiers. 
[40]        Quant à l’absence d’un avis de dénonciation de vice, la Cour d’appel nous enseigne que « La jurisprudence et la doctrine reconnaissent généralement que la dénonciation est une condition de fond à l’exercice du droit à la garantie ». 
[41]        En l’espèce, suite à la signification et production de la Requête, les parties se sont entendues pour que le véhicule de Nadeau soit inspecté et ultimement réparé. 
[42]        Nadeau plaide que ladite réparation ne devrait aucunement changer ses droits, notamment sa capacité d’agir comme représentant dans le recours collectif qu’il propose. 
[43]        Le Tribunal est d’avis que dans telles circonstances, l’absence d’une mise en demeure et d’une dénonciation de vice ne devrait pas servir à permettre à Nadeau de prétendre qu’il est toujours un membre putatif car son véhicule n’a pas été réparé au moment de la production de sa Requête. 
[44]        L’endossement par le Tribunal de la position avancée par Nadeau constituerait une invitation générale aux créanciers de la garantie contre les vices cachés à ne pas transmettre aux débiteurs soit une mise en demeure, soit un avis de dénonciation de vice, et à préserver ainsi leur capacité d’agir dans le contexte d’un recours collectif. 
[45]        Autrement dit, le débiteur ne devrait pas être plus exposé à une poursuite, notamment à un recours collectif, par le simple fait que le créancier ait choisi de ne pas l’informer que son bien est affecté d’un vice caché et de ne pas lui accorder l’opportunité de le réparer.
Référence : [2016] ABD 11

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