lundi 2 mars 2015

La dénonciation tardive de l'existence du vice caché - même très tardive - ne justifie le rejet du recours en vices cachés que lorsque préjudice a été causé à la partie adverse

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous avions traité en mars 2014 des enseignements de la Cour d'appel en la matière et du fait que le défaut de dénonciation de l'existence de vices cachés à l'intérieur d'un délai raisonnable n'entraîne pas nécessairement le rejet du recours. La décision récente rendue par l'Honorable Daniel W. Payette dans De La O c. Sasson (2015 QCCS 713) applique ces enseignements et démontre que le comportement du vendeur peut rendre la dénonciation essentiellement inutile.
 

Après avoir fait l'acquisition d'un immeuble des Défendeurs en 2006, les Demandeurs soutiennent que le sol du terrain sous et autour de la bâtisse était contaminé et qu’ils ont dû le faire décontaminer. Ils considèrent que cette contamination constitue un vice caché et demandent une diminution du prix de vente de l’immeuble équivalent au coût de décontamination du sol.
 
La question qui nous intéresse pour nos fins d'aujourd'hui est celle de la dénonciation du vice par les Demandeurs aux Défendeurs. En effet, les Demandeurs ont dénoncé l'existence du vice six ans après sa découverte et deux ans après avoir obtenu confirmation irréfutable de son existence.
 
Bien que le juge Payette reconnaisse le fait que ces délais ne sont pas raisonnables au sens de l'article 1739 C.c.Q., il ne rejette pas le recours pour autant. En effet, s'inspirant des enseignements de la Cour d'appel dont nous avions traité en mars 2014, il en vient à la conclusion qu'en l'absence de préjudice pour les Défendeurs, le défaut des Demandeurs ne peut mener au rejet.
 
Or, le comportement des Défendeurs dans cette affaire est tel qu'ils n'ont subi aucun préjudice de la dénonciation tardive:
[33]        Même si la conclusion précédente scelle le sort du recours des acheteurs, il y a lieu d’émettre les commentaires suivants quant au troisième argument des vendeurs, à savoir que le préavis que les acheteurs leur ont transmis le 21 mars 2012 ne l’a pas été dans un délai raisonnable et que cela aussi entraine le rejet de leur recours. 
[34]        L’article 1739 C.c.Q. stipule que l’envoi au vendeur d’une dénonciation écrite de l’existence d’un vice caché dans un délai raisonnable de sa connaissance constitue une condition de garantie légale contre de tels vices. 
[35]        Bien que l’appréciation du caractère raisonnable du délai s’évalue en fonction des faits propres à chaque affaire, la jurisprudence et la doctrine semblent à l’effet qu’un délai de six mois à un an sera présumé raisonnable. 
[36]        En l’espèce, les acheteurs donnent leur dénonciation près de six ans après la découverte du vice et près de deux ans après en avoir confirmé l’existence de manière irréfutable lors des travaux pour la pose d’un nouveau drain français. Ils n’offrent aucune explication valable pour expliquer ce délai. Celui-ci est déraisonnable. 
[37]        Devant une telle situation, plusieurs décideurs ont conclu au rejet de l’action. Me Jeffrey Edwards, aujourd’hui juge à la Cour du Québec, opine que puisque l’objectif ultime de la dénonciation est la prévention de l’insécurité contractuelle, les tribunaux devraient appliquer la règle avec rigueur. 
[38]        La Cour d’appel ne retient pas cette solution. En effet, bien qu’elle confirme la nécessité de l’envoi d’une dénonciation dans un délai raisonnable et souligne la distinction qui existe entre la dénonciation et la mise en demeure, la Cour d’appel conclut que la sanction à une dénonciation tardive, voire à une absence de dénonciation, n’est pas toujours le rejet de l’action. Dans Claude Joyal inc. c. CNH Canada Ltd. elle rappelle ses propres propos à l’effet que le défaut de préavis est généralement considéré comme fatal au recours de l’acheteur. Cependant, elle adopte la thèse soutenue par le professeur Jobin et conclut que les conséquences du défaut de dénonciation dans un délai raisonnable doivent correspondre à un préjudice réel pour le vendeur, et non à un simple préjudice de droit, afin de pouvoir justifier l’irrecevabilité du recours intenté par l’acheteur. Elle ajoute que l’appréciation des conséquences d’un tel défaut dépendra de la preuve présentée au juge d’instance. 
[39]        En l’espèce, les vendeurs n’ont présenté aucune preuve de préjudice en raison du délai de dénonciation. Rien ne permet de conclure que le vice se soit aggravé entre 2006 et 2012 et encore moins entre 2010 et 2012. Les vendeurs n’ont pas été privés de la possibilité de vérifier l’existence et la gravité du risque et de le réparer. D’ailleurs, lorsqu’ils en ont été avisés, ils ont choisi d’ignorer la dénonciation. De même, ils ont négligé d’aller sur les lieux après l’institution de l’action. 
[40]        Dans les circonstances, il n’y aurait pas eu lieu de rejeter le recours des acheteurs du seul fait que le vice n’a pas été dénoncé dans un délai raisonnable aux vendeurs.
Référence : [2015] ABD 86

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