jeudi 27 mars 2014

Pour que l'absence de dénonciation justifie le rejet du recours en vices cachés, ce défaut doit avoir causé un préjudice réel à la partie adverse et non simplement un préjudice de droit

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Tel que promis mardi dernier, nous revenons aujourd'hui sur la décision rendue par la Cour d'appel dans Claude Joyal inc. c. CNH Canada Ltd. (2014 QCCA 588). En effet, celle-ci marque un tournant important en matière de vices cachés puisque la Cour se penche sur les circonstances où le défaut de dénonciation du vice mènera au rejet du recours et celles où ce défaut ne fera qu'affecter le quantum des dommages.


Les faits de l'affaire sont relativement simples.

En septembre 2006, la Ferme G. & L. Philie s.e.n.c. acquiert de l'Appelante une moissonneuse-batteuse neuve fabriquée par l'Intimée. Un peu plus de deux ans plus tard, celle-ci prend feu de manière telle qu'il n'en reste qu'une carcasse une fois le feu éteint.

L'assureur de l'acheteuse intente subséquemment un recours contre l'Appelante dans lequel elle allègue que la détérioration prématurée de la moissonneuse-batteuse était affectée d'un vice caché dont cette dernière était responsable.

Face à cette poursuite, l'Appelante appelle l'Intimée en garantie, alléguant que, si vice caché il y a, c'est cette dernière qui en est responsable. L'Intimée répond en présentant une requête en irrecevabilité de l'action en garantie au motif que l'Appelante ne lui a pas dénoncé le vice allégué au préalable et donc que sa responsabilité ne peut être recherchée puisqu'il lui est désormais impossible de déterminer la cause de l’incendie, la privant ainsi du droit à une défense pleine et entière.

Le juge de première instance accueille cette requête en irrecevabilité et rejette l'action en garantie. C'est de ce jugement que l'Appelante se pourvoit.

Au nom d'un banc unanime de la Cour, l'Honorable juge Pierre J. Dalphond discute des circonstances où le défaut de dénonciation du vice amènera le rejet du recours. À cet égard, il confirme que lorsque l'absence de dénonciation empêche la partie adverse de vérifier l'existence du vice, le rejet du recours sera la sanction appropriée (et même dans ce cas, il y aura des cas d'exception). Cependant, lorsque la conséquence de l'absence de dénonciation est l'impossibilité de procéder aux travaux correctifs, le rejet du recours ne sera pas nécessairement justifié:
[28]        La jurisprudence et la doctrine reconnaissent généralement que la dénonciation est une condition de fond à l’exercice du droit à la garantie. 
[29]        À cet égard, dans Immeubles de l'Estuaire phase III inc. c. Syndicat des copropriétaires de l'Estuaire Condo phase III, 2006 QCCA 781 (CanLII), 2006 QCCA 781, la Cour, sous la plume de la juge Bich, s’exprime ainsi : 
[157]   Une comparaison avec l'article 1739 C.c.Q. confirme cette interprétation. L'article 1738 C.c.Q. établit en effet pour le régime de la garantie du droit de propriété (articles 1723 à 1725 C.c.Q.) une exigence analogue à celle qu'édicte l'article 1739 C.c.Q. en matière de dénonciation du vice caché et elle devrait recevoir une interprétation semblable, qui ne soit ni plus ni moins sévère. L'article 1739 énonce que :   
[...] 
[158]   Selon cette disposition, le défaut de préavis est généralement considéré comme fatal au recours de l'acheteur, même dans le cas où le vendeur connaissait ou était présumé connaître le vice. Pierre-Gabriel Jobin, dans son ouvrage sur la vente, écrit que : 
Bien que le vendeur qui connaissait le vice ou ne pouvait pas l'ignorer ne puisse se plaindre d'avoir reçu un avis tardif, il a quand même droit de recevoir un avis écrit de l'existence du vice avant que l'acheteur n'intente des procédures contre lui; seule est supprimée, à l'égard d'un tel vendeur, l'obligation de l'aviser dans un délai raisonnable. Le but de ce préavis, on l'a vu, est de permettre au vendeur de réparer le vice et, le cas échéant, de vérifier si le vice est grave et s'il est attribuable à une mauvaise utilisation par l'acheteur; cet objectif est tout aussi pertinent pour le vendeur professionnel que pour celui qui ne l'est pas. 
(L’italique est dans le texte)
[159]   L'auteur indique dans ce passage que l'acheteur doit donner ce préavis avant d'intenter les procédures mais, vu le but du préavis, tel qu'expliqué plus haut (voir supra, paragr. [152]), il faut comprendre que l'acheteur doit donner ce préavis avant même de procéder aux réparations : on ne peut pas, autrement, parler de dénonciation.  
[160]   La comparaison des articles 1738 et 1739 C.c.Q. mène donc à la conclusion que le vendeur a le droit de recevoir une dénonciation écrite du problème, même s'il connaît ou est présumé connaître ce dernier. 
[30]        En d’autres mots, la dénonciation constitue une condition de mise en œuvre de la garantie, hormis en certaines circonstances, notamment en cas d’urgence, de négation de responsabilité du vendeur au fait du vice, ou encore de renonciation, expresse ou implicite, à la dénonciation (Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 7e éd., par Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, par. 701; Pierre-Gabriel Jobin, supra, par. 168; Optimum, société d’assurances inc. c. Trudel, 2013 QCCA 716 (CanLII), 2013 QCCA 716, par. 17; Quincaillerie Côté & Castonguay inc. c. Castonguay, 2008 QCCA 2216 (CanLII), 2008 QCCA 2216, par. 7; Immeubles de l'Estuaire phase III inc. c. Syndicat des copropriétaires de l'Estuaire Condo phase III, par. 161). Ces exceptions avaient également été reconnues sous l’ancien droit (Quintas c. Gravel, 1993 CanLII 3582 (QC CA), 1993 CanLII 3582 (C.A.)). 
[31]        Il s’ensuit que le défaut de dénoncer s’avérera généralement fatal à une demande en justice pour récupérer les coûts de réparations (Immeubles de l’Estuaire; Quintas). 
[32]        Par contre, si le bien est complètement détruit, il ne saurait être question de réparation, ni même de possibilité d’inspection pour tenter de découvrir la cause de sa perte.  
[33]        En pareil cas, la Cour refuse de prononcer l’irrecevabilité du recours, préférant laisser le tout au juge du fond (Jobin, supra, par. 168-169; Hino Diesel Truck (Canada) Ltd c. Intact, compagnie d’assurances (Compagnie d’assurances ING du Canada), 2011 QCCA 1808 (CanLII), 2011 QCCA 1808, par. 10; Promutuel Deux-Montagnes, société mutuelle d’assurances générales c. Venmar Ventilation inc., 2007 QCCA 540 (CanLII), 2007 QCCA 540, par. 19-20).  
[34]        Dès lors, que dire de la situation où la dénonciation n’apprendrait rien au fabricant qu’il ne sache déjà? 
[35]        Considérant que les dispositions relatives à la garantie légale de qualité et du droit de propriété ont été adoptées principalement afin de protéger l’acheteur – ces dispositions étant inspirées de la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., c. P-40.1, et de la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (« Convention de Vienne ») – je suis d’avis que les conséquences du défaut de dénonciation dans un délai raisonnable doivent correspondre à un préjudice réel pour le vendeur, et non à un simple préjudice de droit, afin de pouvoir justifier l’irrecevabilité du recours intenté par l’acheteur. 
[36]        L’évaluation des conséquences du défaut de dénonciation, plutôt que le rejet automatique du recours de l’acheteur, est une solution que valide le professeur Jobin : 
169 - Préavis. Sanction - Le préavis constitue une condition de fond de la garantie. Comme dans l'ancienne jurisprudence, lorsqu'il n'a pas été donné et qu'aucune exemption ne s'applique, l'action intentée par l'acheteur contre le vendeur doit donc en principe être rejetée, selon la jurisprudence. Il s'agit certes d'une sanction sévère. Elle est justifiée quand l'acheteur a réparé le bien ou l'a revendu sans laisser au vendeur la chance de vérifier s'il s'agit bel et bien d'un vice couvert par la garantie, notamment. Il n'en reste pas moins que cette « technicalité » permet alors au vendeur d'échapper à toute sanction alors que normalement l'acheteur aurait droit au moins à une réduction du prix, ou souvent à la résolution, ainsi qu'à des dommages-intérêts dans bien des cas. C'est ce qui explique les nombreuses dispenses de préavis, signalées plus haut. Pour cette même raison, on a décidé, avec raison selon nous, que la sanction devrait être radicale (rejet de l'action) uniquement lorsque l'omission du préavis a privé le vendeur de la possibilité de vérifier l'existence et la gravité du vice et de le réparer; qu'une simple diminution des dommages-intérêts ou un ajustement à la baisse de la réduction du prix conviendrait mieux aux cas où le défaut de préavis a simplement privé le vendeur de la possibilité de réparer lui-même le vice à meilleur compte.  
            Une comparaison avec la Convention de Vienne, l'une des sources principales de notre article 1739, plaide en faveur d'une certaine souplesse dans la sanction du préavis. En effet, cette convention présente deux facettes sur ce point précis : d'une part, elle fait de l'envoi du préavis une obligation stricte que l'acheteur doit respecter sous peine de déchéance (article 39, paragraphe 1); d'autre part, elle laisse subsister la réduction du prix et les dommages-intérêts quand l'acheteur n'a pas donné le préavis selon les prescriptions mais qu'il présente une excuse raisonnable (supra no 148) et - exception remarquable - elle exempte l'acheteur de tout avis quand le vendeur connaissait ou est présumé avoir connu la non-conformité (article 40). 
[Soulignement ajouté; références omises] 
[37]        En somme, l’appréciation des conséquences d’un défaut de dénonciation ne peut que relever du juge qui entendra la preuve. En revanche, cela pourrait avoir une incidence sur le poids de la preuve qui sera présentée de part et d’autre (Promutuel, par. 21). 
[38]        En l’espèce, le groupe CNH a forcément été avisé de la perte de la moissonneuse-batteuse, puisqu’il a reçu et encaissé un chèque d’un assureur en remboursement du prêt consenti pour favoriser son achat.
Commentaire:

En application de cette décision, il deviendra beaucoup plus difficile d'obtenir le rejet préliminaire d'un recours en vice caché en raison de l'absence de dénonciation puisque le juge du procès devra, dans plusieurs cas, déterminer l'impact véritable du non-respect de l'article 1739 C.c.Q.

Référence : [2014] ABD 124

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