Renno Vathilakis Inc.
Nous avons déjà souligné que l'employé qui se prévaut de la clause contractuelle par laquelle son indemnité de départ était fixée n'a pas à mitiger ses dommages. Par ailleurs, une décision de la Cour supérieure dont j'avais traité en mars 2013 indiquait que même lorsque l'employé demandait et obtenait plus que sa clause d'indemnité de départ prévoyait, il n'a pas à mitiger ses dommages pour la période couverte par la clause, mais seulement pour l'excédent. J'avais critiqué cette décision. Or, la Cour d'appel - dans un jugement majoritaire - vient de confirmer la décision sur la question relative à la mitigation des dommages dans Structures Lamerain inc. c. Meloche (2015 QCCA 476).
Dans cette affaire, les Intimés, alléguant
avoir été congédiés sans cause, réclament une indemnité de fin d'emploi de 24
mois et des dommages pour congédiement abusif. Fait à retenir, le contrat
d'emploi des Intimés fixe à 12 mois la durée du préavis à donner par la
Cour.
L'Honorable juge David R. Collier, après en être venu à la
conclusion que les Intimés ont été congédiés sans cause, souligne à juste
titre que l'article 2092 C.c.Q. implique que ces derniers ne pouvaient être
forcés d'accepter un préavis de 12 mois. Ainsi, rien ne les empêchait de
réclamer une plus longue indemnité.
Après analyse des facteurs pertinents, le juge
Collier fixe à 18 mois la durée du préavis auquel ont droit les Intimés. Il
passe ensuite à la question de la mitigation des dommages, puisque les Intimés ont gagnés des revenus pendant cette période. Il indique cependant
que cette mitigation ne s'appliquera que pour les 6 mois additionnels accordés
et pas pour la période de 12 mois prévues par leur contrat d'emploi.
C'est sur ce dernier point que j'avais formulé une critique. Or, l'Honorable juge Geneviève Marcotte, au nom d'une formation majoritaire, vient confirmer le jugement de première instance sur la question et approuver la méthodologie du juge Collier:
[46] La jurisprudence reconnait que l’obligation de mitigation des dommages commande généralement de soustraire les gains réalisés durant la période du délai de congé du montant de l’indemnité de départ à laquelle le salarié a droit.
[47] Il existe toutefois une exception à cette règle, qualifiée d’« avantage de non-mitigation », que notre Cour résume ainsi dans l’arrêt Aksich :
136 À mon avis, l'ensemble de la preuve démontre que la politique de résiliation de l'intimée, notamment quant à la question de l'indemnité tenant lieu de délai de congé, constitue non pas une condition de travail à proprement parler mais un avantage lié à l'emploi, qui fait partie intégrante des termes du contrat de travail. D'une certaine façon, l'intimée a elle-même établi une sorte de norme minimale qui, pour être contractuelle, ne l'en oblige pas moins et à laquelle elle ne peut déroger. Je dis "norme minimale", car, en raison de l'article 2092 C.c.Q., cette politique ne peut empêcher l'appelant de réclamer (et d'obtenir) tout ce à quoi il peut avoir droit en vertu de l'article 2091 C.c.Q.
137 Il me semble par conséquent normal que, pour la période et le montant correspondant au délai de congé auquel l'appelant avait droit selon cette politique, aucune mitigation ne soit effectuée par soustraction des revenus que l'appelant a pu gagner pendant l'équivalent de ce délai. Le fait que l'offre ait été faite à l'appelant "without prejudice", comme l'indique la lettre de licenciement du 12 juillet 2001, ne peut exonérer l'intimée de respecter sa propre politique.
138 L'appelant ne serait donc tenu de mitiger ses dommages que pour l'excédent de cette somme, excédent qui s'explique à la fois par la durée plus grande du délai de congé auquel il avait droit selon la loi et par la prise en considération des avantages sociaux pendant toute cette période. Autrement dit, il ne doit pas y avoir de mitigation jusqu'à concurrence de 169 400 $, seule la portion résiduelle de l'indemnité devant être affectée, ce qui permet de tenir compte à la fois 1. de la différence de durée entre l'indemnité proposée par l'intimée à compter du 31 août 2001 et l'indemnité que je propose, à compter de la même date, et 2. de la différence entre le facteur salarial auquel l'appelant a droit en vertu du droit commun et le facteur salarial employé par l'intimée aux fins de son offre de 169 400 $.
[Je souligne]
[48] En l’espèce, la clause 7 relative à la fin d’emploi, telle qu’on la retrouve aux contrats d’emploi des frères Meloche, prévoit que :
7. Fin d’emploi
S’il était mis fin par Lamerain pour quelque raison que ce soit au contrat d’emploi, l’Employé continuera à recevoir chaque semaine pendant les douze mois (12) suivant ce licenciement un montant équivalant au salaire qu’il recevait immédiatement avant qu’il n’ait été mis fin à son emploi; les sommes ainsi versées représentant les dommages-intérêts liquidés pour fin d’emploi. Toutefois, si la mise à pied résulte d’une cause juste et suffisante (tel le vol ou la fraude) ou si le départ est initié par l’Employé, celui-ci n’aura droit à aucune indemnité.
[Je souligne]
[49] J’estime que le juge n’a pas erré en considérant qu’en vertu de ces contrats d’emploi, Structures avait accepté de verser des indemnités de départ de 85 000 $ sans égard aux autres revenus que les frères Meloche pourraient gagner pendant la période de douze mois. De ce fait, les appelants ont renoncé à réclamer la mitigation pour cette période en continuant de verser les indemnités sans jamais réclamer qu’elles soient réduites des montants gagnés ailleurs, et ce, même après réception de la mise en demeure et une fois la poursuite intentée, alors que les intimés leur réclamaient une indemnité de départ tenant lieu de préavis de 30 mois.
Je me console quand même en notant que l'Honorable juge Paul Vézina opine - comme je le faisais - que le juge de première instance ne pouvait simultanément donner effet à la clause pénale et accorder aux Intimés un montant plus important que celle-ci:[50] Dans ce contexte et en l’absence de la démonstration d’une erreur révisable du juge d’instance, j’estime qu’il n’y a pas lieu d’intervenir pour modifier la conclusion du juge voulant que seuls les revenus gagnés par les intimés au cours de la période supplémentaire de six mois qui a suivi les premiers douze mois du délai de congé doivent être déduits des indemnités.
[161] Le Juge aurait pu simplement appliquer cette clause pénale et constater que la « peine » (C.c.Q., art. 1622) à payer par les Appelants était de 85 000 $, « représentant les dommages-intérêts liquidés » des Intimés.
[162] L’avantage de cette clause pour les Intimés, qui l’avaient demandée, est que chacun « a droit au montant de la peine stipulée sans avoir à prouver le préjudice qu’il a subi » (C.c.Q., art. 1623).
[163] En conséquence, les Appelants ne pouvaient exiger une réduction de la « peine » de 85 000 $ du fait que les Intimés ont trouvé un nouvel emploi et ont perçu du salaire durant l’année suivant leur mise à pied. Ainsi, l’Intimé Alain Meloche a touché 85 000 $ des Appelants plus son salaire d’un nouvel emploi, 51 500 $, pour un total de 136 500 $, soit presqu’une fois et demie sa rémunération annuelle de 93 600 $. Pour le second, le total est de 176 300 $, pas loin du double.
[164] Le Juge pouvait aussi écarter la clause du contrat s’il jugeait que le délai-congé n’était pas raisonnable. Il est établi que le salarié mis à pied a droit à « un délai de congé raisonnable » (C.c.Q., art. 2041). Il s’agit d’une disposition d’ordre public à laquelle il ne peut renoncer, comme l’édicte le Code civil :
[...]
Référence : [2015] ABD 115[165] Le Juge pouvait écarter la clause 7 s’il y voyait une « renonciation » à une indemnité raisonnable. Il ne pouvait toutefois la juger contraire à l’ordre public et en même temps la mettre en application, ce qu’il a fait.
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