samedi 14 février 2015

Par Expert: les enseignements de la Cour d'appel sur l'impartialité de l'expert et les conséquences d'un manque de celle-ci

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Je sais que j'écris souvent sur la question du manque d'impartialité de l'expert, mais c'est simplement parce que le sujet se présente souvent. En effet, comme nous en avons déjà discuté: (a) l'expert doit être impartial, (b) un manque d'impartialité affectera, règle générale, la force probante du témoignage et non sa recevabilité et (c) dans certains cas extrêmes le manque d'impartialité entraînera le rejet de l'expertise. Ces enseignements sont d'ailleurs contenus dans la décision rendue par la Cour d'appel dans Prometic Sciences de la vie inc. c. Banque de Montréal (2007 QCCA 1419).
 


Dans cette affaire, le juge de première instance avait condamné l'Appelante à payer les frais d'expert de l'Intimée. L'Appelante fait valoir qu'il s'agit d'une erreur puisque ce témoin a témoigné sur des faits et non pas à titre d'expert et parce qu'à titre de représentant de l'Intimée, il n'avait pas l'impartialité requise pour être qualifié d'expert.

L'Honorable juge France Thibault, au nom d'un banc unanime, met de côté l'argument présenté par l'Appelante. Ce faisant, elle rappelle les principes applicables à l'impartialité de l'expert:
[48]           Le juge de première instance a condamné Prometic à payer les frais d'expert de Bernard Brunet, de PWC. Prometic avance qu'il s'agit d'une erreur puisque ce témoin a témoigné sur des faits et non pas à titre d'expert et parce qu'à titre de représentant de la Banque, il n'aurait pas l'impartialité requise. Au soutien de son argument, Prometic renvoie à deux arrêts de la Cour qui ont nié le statut d'expert à un témoin qui s'apparente au représentant d'une partie et dont le témoignage ne revêt pas un degré d'impartialité qui caractérise l'opinion d'un expert.  
[49]           Dans British American Oil c. Pelletier, la Cour écrit : 
On pose directement la question à Payer. Il s'agit ici d'une opinion certainement hésitante. Le juge déclare que Payer est la seule personne qu'il a cru bon de considérer comme expert et qui lui a permis d'exprimer son opinion, chose qu'il refuse au défendeur Lévesque. Il n'en reste pas moins que Payer ne peut être considéré comme expert, étant le représentant de the British American Oil Co., et que son opinion n'est certainement pas catégorique. 
[50]           Dans Érablière R.V.D. Inc. c. Québec, la Cour supérieure écrit :  
Il faut aussi retenir que le statut de M. Paillard s'apparente à celui d'un représentant de la partie. Il est le père de la norme contestée par les procédures. Dans un tel contexte, son opinion ne peut revêtir le caractère d'impartialité propre au témoignage de l'expert dont le rôle consiste à éclairer le Tribunal au moyen d'une déposition d'intérêt partisan. 
[51]           En l'espèce, je rappelle que M. Brunet, comptable et syndic, a d'abord agi comme consultant et séquestre pour la Banque et aussi comme syndic à la faillite de Pharma. À ce titre, il a témoigné sur le contexte de la faillite et sur la réalisation des actifs. 
[52]           Son témoignage a aussi porté sur les analyses complexes et spécialisées réalisées avant des décisions et il a donné son opinion quant au caractère approprié des décisions prises dans le cadre de la réalisation d'actifs. 
[53]           Il a aussi témoigné pour donner son opinion relativement aux divers scénarios de réalisation suggérés par l'expert de Prometic. Je note aussi que sa présence a été requise pour la durée du procès notamment en raison des changements dans la présentation de Prometic. Je réfère ici à la thèse de l’erreur présentée par M. Bédard à l’égard de la créance de 918,655 $, qui a été évoquée ci-haut. 
[54]           Le témoignage de M. Bédard a donc servi deux fins : 1) établir des faits et 2) exprimer son opinion sur plusieurs aspects techniques complexes. 
[55]           À mon avis, le juge de première instance n'a pas commis d'erreur en condamnant Prometic à payer les frais d'expert de M. Brunet. Voici comment il justifie sa conclusion : 
[...]       
[56]           Ces remarques sont conformes à la jurisprudence et à la doctrine. En effet, l'expert est une personne qui, en raison de ses connaissances spécialisées dans un domaine, peut éclairer le tribunal : 
Définition – Le témoin expert est celui qui possède une compétence spécialisée dans un secteur donné d'activité et qui a pour rôle d'éclairer le tribunal et de l'aider dans l'appréciation d'une preuve portant sur des questions scientifiques ou techniques. Cette définition atteste l'existence des conditions préalables à la recevabilité de ce témoignage, soit l'utilité de l'expertise, la qualification et l'impartialité du témoin. 
[57]           Au sujet de l'impartialité de l'expert, il faut préciser qu'une carence peut affecter la valeur probante de son témoignage au point où, dans certains cas, il peut être disqualifié comme expert :  
Impartialité – L'expert doit être impartial. Son rôle est d'éclairer le tribunal et non d'être l'avocat d'une partie. Aussi, la valeur probante d'un témoignage d'expert est plus faible lorsque celui-ci est rendu par un avocat, un représentant ou un employé d'une partie. Cependant, le seul fait qu'un témoin expert soit l'employé de la partie dont il défend les prétentions ou qu'il ait présenté une soumission à l'une des parties pour réparer les dommages, ne le rend pas inhabile. De même, le simple fait pour l'expert d'avoir déjà agi pour la partie adverse ne le disqualifie pas comme témoin expert de l'autre partie. Par ailleurs, le tribunal a parfois rejeté le témoignage d'un expert qui n'était pas impartial. 
[58]           La détermination de la valeur probante d'un témoignage relève de l'appréciation du juge de première instance. Là encore, Prometic a échoué dans sa démonstration d'une erreur manifeste ou dominante. Les motifs détaillés du juge de première instance indiquent qu'il a accordé foi au témoignage de M. Brunet et que son opinion l'a éclairé à l'égard de plusieurs questions techniques, ce qui relève indéniablement du domaine de l’expert.
Référence : [2015] ABD Expert 7

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