Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
C'est généralement au juge saisi du mérite d'une affaire que revient la tâche d'évaluer la crédibilité et la valeur probante du témoignage d'un expert. Ainsi, on dira en principe que le manque d'indépendance d'un expert est une question qui affectera la valeur probante de son témoignage et non pas sa recevabilité. Or, il existe des cas où les tribunaux québécois en sont venus à la conclusion que le manque d'indépendance d'un expert est tel qu'il se devait d'être disqualifié avant même d'avoir témoigné. C'est la conclusion à laquelle en est venue l'Honorable juge Lucie Founier dans 2758792 Canada inc. c. Bell Distribution inc. (2014 QCCS 123).
Dans cette affaire, la Défenderesse s’oppose à la qualification de la personne que les Demanderesses veulent faire témoigner à titre d’expert en marché de capitaux et en fiducie de revenus. Elle plaide que cette personne n’a pas l’objectivité requise pour être entendu à titre d’expert dans le présent dossier. Elle ajoute que ses rapports et son témoignage lors du voir-dire démontrent sa partialité et son animosité réelle contre elle et particulièrement contre l’un de ses représentants.
Après avoir rappelé les règles générales qui s'appliquent en la matière, la juge Fournier en vient à la conclusion qu'il s'agit ici d'un des cas exceptionnels où l'expert ne doit pas être qualifié en raison de son manque d'indépendance. Selon la juge, la preuve faite dans le cadre du voir-dire est claire:
[34] Le Tribunal réfère à nouveau à l’arrêt de la Cour d’appel dans Ville de Saguenay:
[51] : Une personne bien renseignée, consciente de l’obligation d’impartialité qui doit animer tout expert appelé à se présenter devant un Tribunal, conviendrait aisément que le témoin Baril n’avait pas le recul nécessaire pour agir dans cette affaire. L’association, dont il était le vice-président au moment des procédures, a un intérêt financier dans l’issue du litige. Lui-même se fait le propagandiste d’une idéologie bien arrêtée et n’hésite pas à initier personnellement un recours judiciaire contre une ville pour les gestes posés par elle qu’il estime être en contravention avec ses valeurs.
[52] : Quand il se dégage de la preuve une forte impression que la cause d’une partie est, dans les faits, devenue celle de l’expert, c’est que le rôle de ce dernier a été travesti pour passer de conseiller neutre, qu’il est censé être, à celui d’avocat d’une partie qu’il est devenu. C’est le cas du témoin Baril qui était pour ces raisons inhabile à servir les intérêts de la justice dans ce dossier.»
(nos soulignements)
[35] En l’espèce, bien que monsieur Fullard n’aît pas d’intérêt financier dans le débat et qu’il n’y soit pas impliqué personnellement, il demeure que son activisme, ses démarches, de même que sa façon de s’exprimer et de communiquer ses opinions, bien que tout à fait légitimes dans le cadre d’un débat public, le rendent inhabile à agir comme expert dans le présent dossier.
[36] Son animosité à l’égard du principal décideur des faits reprochés à la défenderesse lui enlève la neutralité, l’objectivité et l’impartialité nécessaires à l’exercice du rôle d’expert.
[37] Son insistance et sa persévérance à dénoncer ce qu’il considère incorrect dans les gestes posés par Bell et monsieur Sabia, y compris dans les mois précédant le procès, alors qu’il est à préparer son dernier rapport, confirment qu’il ne peut se qualifier à ce titre.
[38] Cette question est soumise au Tribunal durant le procès, au moment de la qualification de monsieur Fullard à titre de témoin expert. Il a été interrogé et contre-interrogé lors du voir-dire visant à vérifier son habilité à agir comme expert lors de ce procès.
[39] Le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu de refuser immédiatement la qualification d’expert de monsieur Fullard.
[40] Dans l’arrêt de Ville de Saguenay, la Cour d’appel mentionne :
[54] Si le Tribunal s’était livré à l’étude des causes de récusation du témoin Baril et à l’appréciation de la valeur probante de son opinion, comme il l’avait annoncé, il n’aurait pu faire autrement que d’écarter cette preuve. Sous l’éclairage de ce qui précède, ce témoin n’aurait pas dû être qualifié d’expert.
(nos soulignements)
Référence : [2014] ABD 42
Autre décision citée dans le présent billet:
1. Ville de Saguenay c. Mouvement laïque québécois, 2013 QCCA 936.
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