Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Je suis parfaitement conscient du fait que j'en fais une obsession, mais la question est d'une grande importance et la jurisprudence loin d'être uniforme. Ainsi, je reviens cet après-midi à un sujet que j'ai couvert les 14 novembre et 24 décembre 2013, i.e. celui de l'urgence pour les fins de l'injonction provisoire ou l'ordonnance de sauvegarde. Par urgence, on se doit de comprendre deux critères différents: (a) la diligence, i.e. le
fait d'avoir déposé ses procédures le plus rapidement possible et (b)
l'imminence de la conséquence que l'on tente d'éviter. Accepter que ce critère est satisfait lorsque une seule des deux situations est remplie mène à des conséquences fâcheuses. Dans Groupe Opmedic inc. c. Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (2014 QCCS 1588), l'Honorable juge Louis Lacoursière évite ce piège en appliquant ce qui est selon moi le bon critère.
Dans cette affaire, la Demanderesse recherche l'émission d'une ordonnance de sauvegarde pour maintenir un contrat en vigueur. Elle allègue que l'avis que lui a donné la Défenderesse le 15 janvier 2014 à l'effet qu'elle mettait fin au contrat avec date effective le 15 avril 2014 est illégal.
Une des questions qui se pose est celle de savoir si le critère de l'urgence est respecté. En effet, la Demanderesse a attendu jusqu'au 4 avril 2014 avant d'instituer ses procédures et demander une ordonnance de sauvegarde.
Clairement, la Demanderesse rencontre mon critère (b) puisque le préjudice appréhendé est imminent. Cependant, comme le souligne le juge Lacoursière (avec raison selon moi), la Demanderesse a attendu trop longtemps avant d'intenter ses procédures pour pouvoir plaider urgence:
[32] D’autre part, l’émission de l’ordonnance demandée, vu les disponibilités restreintes de la Cour pour entendre la requête au mérite, pour laquelle les parties ont annoncé environ deux jours (on parle de première date de disponibilité pour entendre le dossier au mérite pour deux jours en novembre 2014), aurait pour effet, à toutes fins pratiques, de décider du sort du litige sans que les parties n’aient eu l’opportunité de se faire entendre au fond.
[33] Dans le contexte d’une mesure qui se veut essentiellement conservatoire et qui vise une entente à laquelle il ne reste que neuf mois à courir, l’émission d’une telle ordonnance serait inappropriée parce que la décision au fonds serait finalement inutile.
[34] Ceci est d’autant plus vrai que la situation dans laquelle se retrouvent les parties, devant la Cour, le 10 avril 2014, est en partie attribuable à Opmedic.
Commentaire:[35] En effet, il est surprenant que cette dernière, qui a reçu l’avis de résiliation le ou vers le 15 janvier 2014, ait attendu au 28 mars pour envoyer une mise en demeure et au 4 avril pour intenter ses procédures. Rappelons que la résiliation de l’Entente entre en vigueur le 15.
Cette affaire démontre bien pourquoi les deux facettes de l'urgence sont essentielles. Comme le souligne à juste titre le juge Lacoursière, en attendant plus de deux mois et demi avant de prendre ses procédures, la Demanderesse a placé la Défenderesse dans une position insoutenable si l'ordonnance de sauvegarde est émise. C'est pourquoi, quand une partie demanderesse demande à la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire d'émettre une injonction, il est normal que l'on insiste sur le dépôt de procédures avec célérité.
Même si cet énoncé vous semble logique, il reste qu'il existe des dizaines de jugements qui ne prennent en considération que l'imminence du préjudice au chapitre de l'urgence. Selon moi, cette jurisprudence doit être mise de côté.
Référence : [2014] ABD 158
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