lundi 3 février 2014

La distinction entre la possession et la simple télorance en matière de prescription acquisitive

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Nous en avons déjà discuté, la prescription acquisitive nécessite la possession (de bonne ou de mauvaise foi) de la part de la partie qui plaide avoir fait l'acquisition de l'immeuble. Or, la distinction entre la possession et la simple tolérance de la part du véritable propriétaire est critique, mais pas toujours facile à faire. C'est pourquoi j'attire ce matin votre attention sur la décision de l'Honorable juge Denis Jacques dans Girard c. Boislard (2014 QCCS 215).
 

Dans cette affaire, le Demandeur dépose des procédures judiciaires en reconnaissance judiciaire de droit de propriété par prescription acquisitive d’une lisière de terrain adjacente à sa propriété qu’il dit avoir occupée, à titre de propriétaire, pendant plus de 10 ans.
 
Les Défendeurs, propriétaires en titre de la lisière revendiquée, contestent les procédures en niant la possession de la part du Demandeur et plaidant que toute utilisation de la part du Demandeur de la lisière en question résulte d'une simple tolérance. 
 
C'est dans ce contexte que le juge Jacques cite les enseignements des tribunaux québécois sur ce que constitue une simple tolérance:
[55]        À cet égard, notre collègue le juge Claude Henri Gendreau, dans le jugement Pelletier c. Canuel, explique comme suit les actes de pure faculté ou de simple tolérance : 
[23]            Par contre, les actes de pure faculté ou de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession, ni prescription (art. 924 C.c.Q.).  
[24]            On entend par actes de pure faculté : ceux qu'une personne a le droit de poser et qui ne constituent pas un empiètement sur le droit d'autrui.  
[25]            De la même manière, les actes tolérés par un propriétaire complaisant, parce qu'ils ne semblent pas impliquer la prétention à un droit de propriété de la part de la personne qui les pose, ne peuvent servir à asseoir une possessionL'«acte de tolérance» peut se définir comme celui qu'un propriétaire courtois tolère.  
[26]            Lorsqu'il procède à distinguer l'acte de tolérance, de pure faculté, Vincelette décrit ainsi l'acte de simple tolérance :  
« La simple tolérance concerne des actes que le titulaire pourrait réprimer, puisque, contrairement aux actes de pure faculté, ils constituent un empiètement véritable quoique partiel et très modeste. Le titulaire s'abstient alors de faire valoir ses droits, tant à cause du peu de préjudice qu'il en subit que par suite de l'utilité pratique que l'auteur de l'empiètement retire.  Son silence procure ainsi, par amitié, bon voisinage, obligeance ou altruisme, un avantage à autrui compatible avec sa propre jouissance ».
[27]            Pour sa part, le juge F.-Michel Gagnon souligne que l'idée de tolérance suppose une abstention en pleine connaissance de cause de la part du titulaire du droit.  Il distingue la simple tolérance de la permission tacite en ce que, dans le premier cas, tout n'est que mutisme et passivité, tandis que la deuxième exige, au contraire, un fait positif impliquant consentement.  
[28]            Et Pierre-Claude Lafond y va de quelques exemples concrets d'actes de simple tolérance.  Le simple passage à pied sur le terrain d'autrui, toléré par le propriétaire, ne suffit pas à constituer possession, faute d'élément intentionnel.  Il en est de même de la personne qui fait paître quelques animaux sur le fonds d'autrui, à la connaissance du propriétaire, qui y coupe du foin sauvage et une petite quantité de bois de chauffage à des fins domestiques, de concert avec d'autres. Selon lui, il ne s'agit pas là d'actes de possession, mais de simple tolérance.  
[29]            On peut aisément concevoir que, dans certaines situations limites, il est difficile de départager la possession de la simple tolérance et, qu'à toutes fins pratiques, cela ne peut être discuté dans l'abstrait.  C'est une question de faits qu'il faut analyser à la lumière de la preuve.  Bref, chaque cas est un cas d'espèce et toute possession ne conduit pas inévitablement à l'obtention du droit de propriété par prescription acquisitive.
Référence: [2014] ABD 47

Autre décision citée dans le présent billet:
 
1. Pelletier c. Canuel, 2005 CanLII 2191 (C.S.).

1 commentaire:

  1. Bonjour a tous,
    Peux t-on considerer qu'un occupant sans droit ni titre à qui il a été offert (verbalement) d'occuper une maison en échange d'entretiens qu'il n'a pas effectués, puisse après des années demander une prescription.
    (En fait, cette demande de prescription est faite par les enfants 2 ans après le décès de leur père

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