Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Dans certaines situations, le législateur, pour des raisons d'ordre public et de protection sociale, édicte des règles qu'il considère tellement importantes que leur violation entraînera la nullité absolue du contrat intervenu. La Cour suprême traitait d'une telle situation dans l'affaire Fortin c. Chrétien ([2001] 2 R.C.S. 500).
Propriétaires de terrains et s’estimant victimes d’écoulements d’eau en provenance d’un terrain voisin appartenant au mis en cause, les Intimés décident d’intenter des procédures judiciaires pour faire cesser l’inondation.
Le hic, c'est qu'ils n'ont pas les moyens de retenir les services d'un avocat et qu'ils ne sont pas éligibles à l'aide juridique. Ils se tournent donc vers une entreprise qui, à travers un ancien avocat (lequel a été radié du Barreau), offre des services d'assistance juridique. L'ancien avocat en question prépare et rédige les procédures en injonction des Intimés, lesquelles sont par ailleurs signées par les Intimés.
Le mis en cause présente une requête en irrecevabilité au motif que ces procédures ont été rédigées par une personne qui n’est pas membre du Barreau, contrairement au sous-par. 128(1)b) de la Loi sur le Barreau. La Cour supérieure accueille la requête en irrecevabilité et rejette les procédures des Intimés. Les Intimés en appellent de cette décision et la Cour d’appel reçoit une demande d’intervention présentée par le Barreau du Québec. La Cour d’appel infirme le jugement de la Cour supérieure et permet aux Intimés d’intenter leurs recours, d’où le présent pourvoi du Barreau du Québec.
La Cour suprême vient ultimement rejeter le pourvoi, décrétant que les Intimés pouvaient utiliser les procédures en question. Cependant, l'aspect de la décision qui nous intéresse aujourd'hui a trait à la validité du contrat intervenu entre les Intimés et l'entreprise offrant des services juridiques. Ce contrant, puisque contraire à une disposition d'ordre public, est frappé de nullité absolue selon l'Honorable juge Gonthier:
20 Par ailleurs, une convention conclue à l’encontre de la Loi sur le Barreau peut également faire l’objet de sanctions en application des principes de droit civil. Les intimés et le Club juridique, par le biais de M. Descôteaux, ont conclu un contrat prévoyant l’octroi par un non-avocat d’un service de préparation et de rédaction de procédures judiciaires moyennant rémunération, sous la forme d’une cotisation annuelle. Ce contrat, au même titre que tous les autres contrats, est régi par les dispositions générales impératives concernant ses conditions de formation prévues au Code civil du Québec : art. 1385 à 1415. L’article 1411 C.c.Q. énonce notamment que la cause d’un contrat ne doit pas être prohibée par la loi ou contraire à l’ordre public.
21 L’ordre public est constitué de certains interdits sociaux qui restreignent la liberté contractuelle des parties. Ils marquent l’existence, au-delà des intérêts particuliers, d’intérêts généraux que les parties doivent respecter (art. 9 C.c.Q.). Le critère qui distingue les lois d’ordre public des autres types de loi réside dans l’intérêt public, plutôt que simplement privé, dont se soucie le législateur. Je partage l’opinion de la Cour d’appel selon laquelle les dispositions de la Loi sur le Barreau concernant l’exercice de la profession d’avocat sont d’ordre public, puisqu’elles tendent à protéger l’intérêt général. La doctrine est unanime à ce sujet. Le juge Baudouin et le professeur Jobin, dans leur traité consacré au droit des obligations, sont d’avis que les lois d’organisation des corporations professionnelles sont d’ordre public politique et moral ou de direction (par opposition à l’ordre public économique ou de protection), au même titre que les lois portant sur l’administration de la justice, l’organisation de l’État, les lois administratives et fiscales et les lois pénales. Elles ont toutes en commun le fait qu’elles visent à protéger « l’ensemble des institutions qui constituent la base des règles du jeu de la société » : J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, Les obligations (5e éd. 1998), p. 157, no 133. (Voir également J. Pineau, D. Burman et S. Gaudet, Théorie des obligations (3e éd. 1996), p. 255, no 165, et D. Lluelles avec la collaboration de B. Moore, Droit québécois des obligations (1998), vol. 1, p. 663-664, nos 2028-2030.)
22 Les tribunaux se sont également penchés sur la question. Dans l’affaire Pauzé c. Gauvin, [1954] R.C.S. 15, p. 19, notre Cour a déclaré que la Loi des architectes, S.R.Q. 1941, ch. 272, avait été adoptée en vue de protéger l’intérêt général et de procurer au public les services de personnes réellement compétentes, afin d’assurer que les édifices soient convenablement construits. Cette position fut réitérée dans l’affaire Garcia Transport Ltée c. Cie Trust Royal, [1992] 2 R.C.S. 499. À la page 524, le juge L’Heureux-Dubé, exprimant l’opinion de notre Cour, faisait état du fait que les tribunaux avaient jugé de façon constante que les lois établissant des normes professionnelles étaient d’ordre public, bien qu’en un sens elles protégeaient un groupe restreint au sein de la société. L’affaire In re Réserves du Nord (1973) Ltée: Biega c. Druker, [1982] C.A. 181, traite plus spécifiquement des dispositions de la Loi sur le Barreau. Dans cette affaire, le juge L’Heureux-Dubé, alors à la Cour d’appel du Québec, jugeait invalide une convention conclue à l’encontre de l’art. 56 L.B. qui interdisait à un avocat d’agir pour le syndic d’une faillite si dans les deux années précédant la faillite, il avait représenté la débitrice et ce afin d’éviter les conflits d’intérêts. À la page 191, elle affirmait :
Édictée en vue de la protection du public, la Loi du Barreau, y compris les règlements adoptés sous l’empire de cette loi (art. 22), contient des dispositions impératives et prohibitives ainsi que des sanctions (art. 48). L’exercice exclusif d’une profession est une matière d’ordre public. Depuis, la Loi des architectes et la Loi des ingénieurs civils ont, au motif de la protection du public, été considérées à maintes reprises comme des lois d’ordre public Pauzé c. Gauvin . . .
23 Toute convention dont la cause est contraire au sous-par. 128 (1)b) L.B. va donc à l’encontre de l’ordre public. En vertu de l’art. 1416 C.c.Q., tout contrat qui n’est pas conforme aux conditions nécessaires à sa formation peut être frappé de nullité. La nullité est absolue lorsque cette condition s’impose pour la protection de l’ordre général (art. 1417 C.c.Q.); elle est relative lorsqu’elle s’impose plutôt pour la protection d’intérêts particuliers (art. 1419 C.c.Q.). Étant donné les impératifs liés à la protection du public auxquels répond la Loi sur le Barreau et dont j’ai fait mention précédemment, ses dispositions concernant l’exercice d’actes réservés ne sauraient être édictées qu’en vue de protéger l’intérêt général. Ainsi, un contrat qui y contrevient doit être sanctionné de nullité absolue.
Référence: [2014] ABD Rétro 5
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