Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Le 3 mai 2013, je vous faisais part de mes inquiétudes quant à certains jugements récents qui - selon moi - plaçaient la barre trop basse en matière de diffamation fautive. J'attire aujourd'hui votre attention sur une autre décision qui, selon moi, adopte une définition trop large de ce qui constitue de la diffamation fautive. Il s'agit de l'affaire Couture c. Morin (2014 QCCQ 98).
Dans cette affaire, le Demandeur intente des procédures en diffamation par lesquelles il réclame la somme de 24 000$ en dommages moraux et punitifs en raison des propos que le Défendeur aurait prononcé à son endroit au cours d'une réunion du conseil d'administration de la Société coopérative agricole des Bois-Francs tenue le 1erfévrier 2012.
Le jugement cite les propos en question comme suit:
« Toi Réal Couture, tu es rendu bas même très bas, je n'en reviens pas. Tu n'es qu'un menteur, un beau crosseur comme j'en ai vu. Tu es un pas bon. Laisse moi finir tu parleras à ton tour. Quand on t'en donnera le droit de parole. Toi qui remplaces Claude G. Couture tu n'es pas comme lui. Faut être rendu bas pour faire des choses comme celles-là. Tu étais d'accord à la décision prise au conseil d'administration je n'en reviens pas. Tu es allé signer la feuille à Damien. Tu es un pas bon. Depuis un certain temps, j'avais un certain doute sur toi, cela me le confirme. Je ne suis pas capable moi de travailler avec un gars comme ça. Je ne suis pas capable, tu n'es pas honnête, tu es un pas bon. Je ne veux pas que tu te représentes au conseil d'administration. Tu as compris? Je ne veux pas que tu te représentes. Moi, je ne suis pas capable de travailler avec des gens comme ça, cela me répugne. »
Saisi de cette affaire, l'Honorable juge Pierre Labbé en vient à la conclusion que les propos en question sont diffamatoires et fautifs. Pour cette raison, il retient la responsabilité du Défendeur et le condamne à un total de 14 000$ en dommages moraux et punitifs:
[108] Ceci étant, il ne fait pas de doute que les mots « menteur »,« crosseur » et « pas honnête » prononcés sur un ton colérique par le défendeur dans le contexte d'une réunion spéciale du conseil d'administration constituent de la diffamation. Ces paroles étaient susceptibles de nuire à la réputation, à l'estime ou au respect dont jouit le demandeur auprès d'autrui ou de susciter à son égard des sentiments défavorables ou désagréables.
[109] En utilisant la norme objective préconisée par la Cour suprême du Canada dans Prud'homme, le Tribunal conclut qu'un citoyen ordinaire estimerait que les paroles prononcées par monsieur Morin ont déconsidéré la réputation du demandeur en tenant compte des circonstances :
[...]
le Tribunal doit maintenant déterminer si le défendeur a commis une faute.
[...]
[121] Le mot« crosseur » a une connotation de fourberie, de perfidie et d'hypocrisie. Ce mot était également inapproprié dans les circonstances considérant son sens commun très négatif.
[122] La liberté d'expression ne justifie pas le comportement du défendeur. Il aurait pu exprimer son opinion d'une autre façon, ferme peut-être, mais respectueuse du demandeur.
[123] Dans une affaire présentant quelques similitudes avec la présente, le juge Jacques Blanchard de la Cour supérieure écrivait :
[121] Le Tribunal, par contre, reconnaît que Poirier s'est placée dans une situation délicate en ne se retirant pas des délibérations qui la concernaient lors de la réunion du 13 décembre 1994. Toutefois, cela ne justifiait pas l'acharnement dont elle fut la victime et plus spécialement de la part de Dupuis qui a fait preuve d'un entêtement démesuré.
[124] Même en tenant compte du contexte, la preuve prépondérante amène le Tribunal à la conclusion que le défendeur a commis une faute qui engage sa responsabilité civile. Cette faute relève de la catégorie de « […] celle où le défendeur, sciemment, de mauvaise foi, avec l'intention de nuire, s'attaque à la réputation de la victime et cherche à la ridiculiser, à l'humilier, à l'exposer à la haine ou au mépris du public ou d'un groupe. »
[125] Le fait qu'une réunion spéciale à huis clos ait été tenue en fin de journée du 1er février 2012, sans annonce de son objet et uniquement pour traiter du cas du demandeur et de celui de monsieur Vigneault, confirme que le défendeur a voulu les humilier devant leurs pairs. Il a en plus menacé le demandeur de ne pas demander de renouvellement de mandat au conseil d'administration de la Coop, ce qui ne relève aucunement des pouvoirs d'un vice-président.
Commentaires:[126] Les regrets exprimés par le défendeur à l'audience étaient tardifs. Il a eu l'occasion de le faire après la réception de la mise en demeure du 13 mars 2012 et il ne l'a pas fait. L'eût-il fait alors, que le demandeur n'aurait peut-être pas entrepris de procédures judiciaires.
Respectueusement, ce jugement s'inscrit dans une tendance récente (majoritaire ou minoritaire, je ne pourrais le dire sans faire d'étude exhaustive de la jurisprudence) que je trouve trop libérale en matière de diffamation fautive. Certes, les propos du Défendeur ne font pas dans la dentelle, manquent de modération et sont grossiers. Reste cependant qu'ils sont prononcés dans un contexte particulier qui ne semble pas avoir été pris en considération.
Par exemple, traiter quelqu'un de "crosseur" parce qu'on a l'impression que cette personne a trahie sa parole ne peut être comparé, de quelque façon que ce soit, à une situation où un traite quelqu'un de "crosseur" parce qu'on laisse sous-entendre qu'il a volé quelque chose.
Ici, le Défendeur accuse essentiellement le Demandeur d'avoir manqué à sa parole et de ne pas avoir respecté une décision rendue par le conseil d'administration. Le juge Labbé ne semble pas avoir de problème à ce que le Défendeur manifeste son mécontentement, mais il juge le langage utilisé trop sévère (par. 122 du jugement reproduit ci-dessus).
Avec égards, la diffamation fautive ne doit pas tourner sur la question du vocabulaire utilisé. Accuser quelqu'un d'avoir manqué à sa parole dans un tel contexte et dans une réunion tenue à huit clos ne rencontre pas selon moi le test pour conclure à la diffamation fautive. Je sais que je me répète, mais la Cour d'appel nous enseigne dans Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal c. Hervieux-Payette (2002 CanLII 8266), que:
Et ça c'était dans un contexte où les commentaires étaient exprimés publiquement.[27] Certains politiciens et commentateurs politiques ne font pas dans la dentelle, c'est un constat incontournable. Quoi que les membres de la présente formation puissent penser des mots utilisés dans le texte ci-haut, les tribunaux ne sont pas arbitres en matière de courtoisie, de politesse et de bon goût. En conséquence, il n'est pas souhaitable que les juges appliquent le standard de leurs propres goûts pour bâillonner les commentateurs puisque ce serait là marquer la fin de la critique dans notre société.
Bien que je peux comprendre que l'on condamne socialement les excès de colère comme celui relaté dans la présente affaire, ce n'est pas devant les tribunaux et pas en fonction des recours en diffamation que l'on doit le faire. L'importance de la liberté d'expression est telle qu'il faut absolument accepter des sautes d'humeur comme celle-ci pour la protéger.
Référence : [2014] ABD 29
Voilà un jugement qui me donne raison à des dommages pour de la difamation fautive à ''huis clos " devant un petit groupe restrient de personnes , tout comme en public, il n'en demeure pas moins que les propos diffamatoires et mensongers restent toujours de la Diffamation fautive .
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