jeudi 15 novembre 2012

L'inclusion d'une clause de médiation obligatoire dans un contrat n'empêche pas une des parties d'aller directement à l'arbitrage

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Les clauses de médiation obligatoire le sont-elles vraiment? C'est là une question que les plaideurs se posent fréquemment puisque plusieurs contrats contiennent la stipulation que les parties devront tenter de régler leur différend à l'amiable avant de pouvoir soumettre celui-ci à l'arbitrage. La décision récente rendue par l'Honorable juge Scott Hugues dans Corporation Inno-Centre du Québec c. Média Opti Rythmix (2012 QCCQ 8980) semble indiquer que de telles clauses ne peuvent avoir pour effet d'empêcher une partie d'instituer immédiatement des procédures d'arbitrage.
 

Dans cette affaire, le juge Hugues est appelé à décider si le défaut de la Défenderesse de soumettre son différend avec la Demanderesse à la médiation l'empêche d'invoquer l'application de la clause compromissoire contenue dans leur contrat. Celui-ci contient en effet une clause de médiation préalable obligatoire.
 
Pour le juge Hughes, cette clause n'a pas pour effet d'empêcher le recours direct à l'arbitrage:
[11] Inno-centre fonde son argument sur le fait que, selon elle, le processus d'arbitrage doit être institué par un avis de médiation. Or aucun tel avis n'a été renvoyé. Donc, la clause compromissoire ne serait pas parfaite.  
[12] Cet argument n'est pas fondé. En effet, Inno-centre confond le caractère obligatoire de la clause compromissoire et la procédure préalable de médiation envisagée par les parties.  
[13] En effet, la clause 15.1 de la Convention de services établit le souhait des parties de discuter du règlement du litige avant de référer l'affaire en arbitrage. Toutefois, elles n'ont jamais prévu, qu'à défaut de médiation, la clause d'arbitrage ne s'appliquerait plus. Au contraire, la clause prévoit expressément tant la situation où la médiation ne fonctionne pas, que celle où les parties ne s'entendent pas sur la nomination d'un médiateur. 
[14] De plus, Inno-centre reproche à Média de n'avoir pas demandé la médiation à ce jour. Ce reproche n'est pas fondé. Tout d'abord, avant que Inno-centre intente son recours en justice, Média n'avait aucune raison de demander une médiation. Elle refusait alors de payer les honoraires prétendument dus à Inno-centre. Pourquoi aurait-elle demandé une médiation avant même de recevoir la réclamation ? En fait, c'était peut-être à Inno-centre de demander elle-même la médiation à cette étape du litige. En effet, elle prétendait que des sommes lui étaient dues. Concédant maintenant que la clause 15.2 décrit un arbitrage au sens de l'article 940.1 et suivants C.p.c, n'aurait-elle pas dû elle-même initier le processus de médiation. Enfin, depuis que les procédures sont entamées devant la Cour du Québec, Inno-centre ne peut pas davantage reprocher à Média de n'avoir pas demandé la médiation. En effet, lors de l'audience, l'avocate d'Inno-centre a affirmé :« ce litige ne se réglera pas». D'évidence, aucune médiation n'est acceptable pour Inno-centre. Ce refus ne peut avoir pour effet de rendre la clause compromissoire facultative. Il n'est donc pas surprenant que Média ait présenté sa requête pour renvoi à l'arbitrage directement, sans demander d'abord la médiation. 
[15] En tout état de cause, le fait que personne n'ait demandé la médiation ne change pas la volonté clairement exprimée des parties, de se soumettre à la compétence arbitrale pour régler un litige découlant de la Convention de services. Une réclamation reliée aux honoraires prétendument dus en vertu de cette convention constitue, de toute évidence, un « désaccord ou différend relatif à la présente convention ou découlant de son interprétation ou de son application ».  
[16] Le Tribunal conclut que la clause compromissoire est parfaite. Elle doit être appliquée, à moins que Média n'ait renoncé à son application.
Commentaire:
 
Dans la veille juridique du 3 novembre dernier, j'attirais votre attention sur le billet de Jean H. Gagnon à propos de cette affaire (son billet est ici: http://bit.ly/VmA5lF ). Me Gagnon offre une réflexion intéressante sur la portée de cette décision que je vous invite à lire.
 
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/UIAcmm

Référence neutre: [2012] ABD 416

2 commentaires:

  1. Se pourrait-il que la décision n'exclue pas le caractère obligatoire de la clause de médiation, mais signifie seulement que sa présence ne donne pas soudainement compétence à la Cour du Québec? Bref, une fois le litige devant l'arbitre, ce dernier ne pourrait-il pas obliger les parties à tenir des séances de médiation, conformément à la clause 15.1, avant de pouvoir procéder à l'arbitrage sur le fond en cas d'échec de la médiation? Le juge aurait seulement décidé qu'il appartient à l'arbitre d'appliquer la clause de médiations obligatoire...

    Je me permets toutefois le commentaire suivant: il est un peu contradictoire de s'obliger à la médiation, cette dernière reposant sur la volonté des parties d'y participer de bonne foi alors que le différend est né. C'est toutefois certainement un bon énoncé d'intention d'ordre pédagogique.

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  2. J'ai de la difficulté à concevoir qu'une telle clause pourrait être obligatoire dans quelque contexte que ce soit Pascal. Je ne vois pas dans quel contexte on peut forcer une partie à négocier. Prends la situation par exemple où le délai de prescription expire demain et que le contrat entre les parties prévoit une telle clause. Je ne pense pas qu'on pourrait faire valoir que l'action intentée pour interrompre la prescription serait irrecevable. C'est d'ailleurs pourquoi certains font valoir que les clauses de médiation obligatoire contreviennent à l'article 2884 C.c.Q. (je ne suis pas un de ceux-là).

    Je pense que, au mieux, le défaut de respecter une clause de médiation obligatoire pourrait être invoqué comme indice de l'absence de bonne foi d'une partie demanderesse lorsqu'elle passe outre cette obligation contractuelle sans raison valable.

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