
Renno Vathilakis Inc.
La résolution d'un contrat est un remède draconien en droit québécois. En effet, elle fait en sorte que le contrat est anéanti et reputé n'avoir jamais existé (art. 1606 C.c.Q.). Il n'est donc pas surprenant que les tribunaux exigent une inexécution contractuelle totale (ou si importance qu'elle équivaut à une inexécution totale) pour donner ouverture à un tel remède. La décision récente de la Cour supérieure dans l'affaire Maison André Viger inc. c. Services SiPD inc. (2025 QCCS 59) illustre bien ce principe.
Dans cette affaire, la Demanderesse poursuit la Défenderesse en résolution de contrat et en remboursement de 103 976,54$ pour avoir fait défaut de respecter ses obligations contractuelles aux termes d’une entente visant la configuration et l’implantation au sein de son entreprise d’un progiciel de gestion intégrée. Cette dernière conteste cette demande, alléguant ne pas être en défaut et plaide que la résolution du contrat est impossible, puisqu'il s'agit plutôt d'un cas de résiliation. Elle se porte également demanderesse reconventionnelle pour 124 083,37 $ qui lui sont toujours dûs pour le renouvellement de licences et des services rendus.
Saisie de l'affaire, l'Honorable juge Gabrielle Brochu rappelle d'abord que - règle générale - la résolution ne peut être prononcée qu'en présence d'une inexécution contractuelle totale:
[63] Ainsi, pour donner ouverture au droit à la résolution/résolution-sanction, le défaut doit non seulement être injustifié, mais aussi caractérisé ou important. En parallèle, bien que l’article 1590 C.c.Q. prévoit le droit du créancier à l’exécution entière, correcte et sans retard de l’obligation, il pourra également obtenir la résiliation ou la résolution du contrat en cas d’inexécution partielle pour autant qu'elle soit sérieuse ou qu'elle le frustre du bénéfice du contrat.
[64] Dans la même veine et concernant la résolution, dans Coffrage Efco inc. c. Les Entreprises Jean Baillargeon inc., la Cour d’appel précise ceci :
En principe, seule une inexécution totale permet de demander la résolution d’un contrat, l’inexécution partielle n’étant pas suffisante, sauf dans l’hypothèse où elle frustre le contractant du bénéfice du contrat. Lorsque l’exécution partielle est suffisamment importante pour que le créancier en retire un certain avantage, il n’y a pas lieu de prononcer la résolution, mais plutôt d’accorder des dommages-intérêts pour le passé et la résiliation pour le futur, s’il s’agit d’un contrat à exécution successive.
En application de ces principes, la juge Brochu en vient à la conclusion que la résolution n'est pas appropriée en l'espèce, et ce même si la Défenderesse a commis une faute importante dans l'exécution du contrat:
[92] Deuxièmement, et sans égard à la nature successive de l’exécution des obligations, il demeure qu’à la lumière du contexte, bien qu’importante, l’inexécution contractuelle en cause n’est pas à ce point grave qu’elle justifie l’anéantissement total du Contrat. De fait, la résolution d’un contrat est une mesure draconienne « qui apparaît comme une sanction ultime, à éviter autant que possible ».
[93] En l’espèce, au moment de la terminaison du Contrat par Maison Viger, des centaines d’heures ont été investies par SiPD à son bénéfice. L’essentiel des services professionnels prévus à l’entente ont été rendus : la preuve la plus probante démontre en effet qu’Acumatica et ses modules sont alors en grande partie configurés et intégrés et les employés de Maison Viger ont été formés. On ne saurait ainsi parler d’une inexécution totale de SiPD de ses obligations.
[94] La preuve ne permet pas non plus de conclure que le refus de SiPD de gérer les transactions litigieuses a privé Maison Viger du bénéfice du Contrat. L’achoppement du projet en entier est multifactoriel. Il s’explique certes par la faute de SiPD, mais également par la décision de Maison Viger de refuser d’extraire elle-même les transactions de son ancien système pour qu’elles soient ensuite intégrées dans le nouveau alors qu’elle avait la capacité le faire. Bien que cette tâche ne lui revînt pas, Maison Viger était pleinement consciente des conséquences qu’aurait son propre refus si SiPD maintenait pareillement le sien : son investissement en temps et en argent des 15 derniers mois, tout comme les multiples services rendus jusqu’alors par SiPD, risquaient d’être perdus.
[95] Pour tous ces motifs, il n’y a pas lieu de constater la résolution du Contrat en date du 21 février 2022 mais plutôt sa résiliation en raison de la faute de SiPD telle que modulée par le propre comportement de Maison Viger.
Référence : [2025] ABD 27
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