lundi 20 janvier 2025

Le refus de signer une convention d'actionnaires peut constituer un geste oppressif

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous discutons oppression cet après-midi sur À bon droit. Comme nous l'enseignent la Cour suprême et les tribunaux québécois, qui dit oppression dit d'abord attentes raisonnables. La détermination de ces attentes raisonnables dépend en très grande partie de l'évolution de la relation entre les parties, de sorte qu'un large éventail de situation est à même de donner naissance à de telles attentes. Dans l'affaire Allaire c. Maisonneuve (2025 QCCS 56), l'Honorable juge Sylvain Lussier en vient à la conclusion que le refus d'une partie de signer une convention unanime d'actionnaires peut frustrer les attentes raisonnables des actionnaires.


Dans cette affaire, le Demandeur poursuit Les Habitations Cosinus inc. et ses co-actionnaires dans la société pour des services impayés. Il allègue oppression de la part des actionnaires majoritaires à son égard et recherche donc des mesures de redressement.

C'est dans ce contexte que le juge Lussier doit d'abord déterminer quelles étaient les attentes raisonnables des actionnaires. En particulier, il doit déterminer si le refus de certains actionnaires de signer une convention d'actionnaires peut constituer de l'oppression.

Après une revue de la jurisprudence pertinente et une analyse de la trame factuelle, le juge Lussier en vient à une réponse affirmative à cette question:
[143] Quelles sont donc les attentes raisonnables des actionnaires de Cosinus?

[144] Pascal Allaire pouvait légitimement s’attendre à ce que les conventions d’actionnaires soient signées. Il y avait expression d’un consentement mutuel à cette signature. Michel Maisonneuve avait clairement exprimé son acceptation de la clause refusant expressément le shot gun à deux reprises.

[145] Le Tribunal n’est nullement lié par l’expression écrite, et réitérée à l’audience, de l’opinion de la notaire Lavoie voulant que la convention n’ait « aucune valeur légale » et qu’il n’y avait pas eu échange des consentements à cet égard. 
[146] Le Tribunal adopte plutôt la vision du juge Michel Pinsonnault dans le dossier Kalfon c. Télé Info América (2000) inc dont certains faits ressemblent aux nôtres. En effet, le défendeur Desrosiers y avait déclaré son intention de signer une convention d’actionnaires avec le demandeur, mais trouvait toujours un prétexte pour ne pas le faire :
[82] Au début de l’année 2010, Kalfon n’a toujours pas pu signer une convention d’actionnaires avec Desrosiers, malgré leur engagement de le faire dans le Protocole signé en mai 2009. Aucune des diverses versions du projet de convention échangées entre mai et décembre 2009 n’était acceptable pour Desrosiers, bien que Kalfon ait accepté de faire les diverses concessions demandées par Desrosiers, et ce, même s’il considérait ces demandes tout à fait déraisonnables. En janvier 2010, Kalfon a finalement conclu que Desrosiers n’a jamais réellement eu l’intention de signer une telle convention en dépit de son engagement formel de le faire dans le Protocole.

[187] La preuve permet au Tribunal de constater que les attentes suivantes de Kalfon et de sa société Communications étaient tout à fait légitimes eu égard à l’ensemble des circonstances :

- que Desrosiers et sa société Télé Info América agissent conformément aux termes et conditions du Protocole (P-4), en ce qu’entre autres :

• que les investissements soient faits de part et d’autre en temps opportun;

• que la convention entre actionnaires, dont la majorité des termes et conditions avaient déjà été convenue dans le Protocole, soit signée;

[206] Une autre illustration du comportement abusif de Desrosiers est son refus de signer une convention d’actionnaires avec Kalfon, malgré son engagement exprès dans le Protocole. Sept mois de négociations (de mai à décembre 2009) n’ont pas réussi pour trouver un terrain d’entente à ce sujet entre les deux partenaires, malgré les diverses concessions acceptées par Kalfon.

[207] Qui plus est, le Tribunal ne peut ignorer le refus de Desrosiers de souscrire à certains des termes et conditions du projet de convention d’actionnaires, qui pourtant avaient été expressément convenus dans le Protocole. Les explications offertes par Desrosiers au procès étaient non seulement non convaincantes, mais laissaient transparaître sa mauvaise foi et son intransigeance.

[208] Il n’est aucunement surprenant qu’en janvier 2010, quelque neuf mois après la signature du Protocole, Kalfon ait commencé à douter de la bonne foi, de la sincérité et de l’engagement de Desrosiers dans le Projet Ontario.

[147] Dans le présent dossier, si les parties n’avaient pas signé les conventions d’actionnaires, elles n’en avaient pas moins signé l’engagement P-12, requérant l’unanimité pour la vente des immeubles, ce dont MM Maisonneuve et Leclerc ont fait fi. 

[148] Le Tribunal conclut de la preuve que les attentes raisonnables des parties peuvent se résumer comme suit : 

- Les décisions importantes se prenaient à l’unanimité et plus particulièrement celles portant sur la vente des biens immobiliers de la société. 

- L’octroi d’intérêts sur les avances des actionnaires devait faire l’objet d’une résolution du conseil d’administration. 

- Les trois actionnaires étaient les administrateurs de la société. 

- Les actionnaires devaient consacrer du temps à la gestion de l’entreprise, sans être rémunérés pour cette tâche. 

[149] Les actionnaires majoritaires, Michel Maisonneuve et Marc Leclerc ont injustement porté atteinte aux attentes légitimes de Pascal Allaire:

Référence : [2025] ABD 28

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