mardi 21 janvier 2025

La compétence internationale des tribunaux québécois pour interpréter un testatement est régie par l'article 3153 C.c.Q.

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

La compétence internationale d'un tribunal québécois appelé à interpréter un testament est-elle régie par l'article 3153 C.c.Q. qui traite des matières successorales ou par l'article 3148 C.c.Q. qui régit généralement l'interprétation des contrats en matière d'action patrimoniale? C'est la question à laquelle devait répondre l'Honorable juge Jean Faullem dans Beaudry c. Beaudry (2025 QCCS 34).


Dans cette affaire, le Demandeur introduit une demande en jugement déclaratoire par laquelle il cherche à faire déclarer sans effet deux clauses du testament de son père. Les Défendeurs, à titre de co-liquidateurs de la succession, demandent au tribunal de décliner sa compétence en faveur des tribunaux ontariens.

Après analyse de la jurisprudence pertinente le juge Faullem en vient à la conclusion que c'est en fonction de l'article 3153 C.c.Q. - et non de l'article 3148 C.c.Q. - que la question de la compétence des tribunaux québécois doit être tranchée puisque l'interprétation de l'expression "matière successorale" doit recevoir une interprétation large et libérale:
[24] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la question de l’interprétation d’un testament se qualifie de matière successorale au sens de l’article 3153 C.c.Q. Il s’agit d’un élément important qui la distingue de la question portant sur la loi applicable à l’interprétation d’un testament. 
[25] Il est à noter que le Tribunal n’a pas repéré d’autorités définissant l’expression « matière successorale » que l’on retrouve à l’article 3153 C.c.Q. 
[26] Il est vrai, comme l’indique la Cour d’appel dans l’affaire Succession de Charpentier, que « [s]ous réserve d’adaptations mineures, l’interprétation d’un testament obéit aux mêmes règles que l’interprétation contractuelle »[3]. Cette affirmation ne permet toutefois pas au Tribunal de conclure que toute question portant sur l’interprétation d’un testament n’autorise pas l’application de l’article 3153 C.c.Q.
[27] Notons également que les auteurs Claude Emmanuelli et Gérald Goldstein excluent du champ d’application de la loi successorale, la question de l’interprétation des testaments, qu’ils ne qualifient pas de « question successorale ».[4] 
[28] Il est toutefois important de préciser que ces commentaires sont faits en lien avec la question de la loi applicable à un litige et non pas en ce qui concerne celle portant sur le forum compétent pour se saisir d’un dossier. 
[29] Or, l’analyse de la jurisprudence permet de constater que la question de la compétence des tribunaux québécois en « matière successorale » a été appliquée de façon autonome à celle de la loi applicable aux testaments. 
[30] De plus, cette notion de « matière successorale » est interprétée de manière large et libérale lorsqu’il y a lieu de décider si un litige s’avère ou non de la compétence des tribunaux québécois.

[...] 
[37] En effet, la forme d’un acte juridique est régie par la loi du lieu où il est passé (article 3109 C.c.Q.). Or, dans le dossier à l’étude, l’interprétation du testament porte sur des questions de fond, soit la validité de deux clauses testamentaires. 
[38] Finalement, dans Fetter Nathansky c. Fetter Nathansky[14], citée par le demandeur, la Cour supérieure refuse d’appliquer l’article 3153 C.c.Q. puisque « (l)a seule question en litige dans l’action intentée au Québec est de savoir qui, des successions ou du défendeur Hans Luis Fetter Nathansky, est le véritable propriétaire des placements »[15]. Selon la Cour, ce litige ne soulève pas une matière successorale, mais plutôt celle de l’identité du véritable propriétaire de biens situés au Québec[16]. La Cour confirme sa compétence en s’appuyant sur l’article 3152 C.c.Q. qui « prévoit que les autorités québécoises sont compétentes pour connaître d’une action réelle si le bien en litige est situé au Québec, ce qui est le cas en l’espèce (…) »[17]
[39] Rappelons encore une fois que dans le présent dossier, les questions de fond portent sur la validité de deux clauses du testament de Feu Jacques Beaudry. 
[40] À la lumière de ces principes, le Tribunal conclut que l’analyse de la question de la compétence internationale des autorités du Québec (articles 3134 C.c.Q. et suivants)[18] ne doit pas être confondue avec celle de la question des conflits de lois (arts. 3083 C.c.Q. et suivants).

Référence : [2025] ABD 29

Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Notre équipe vous encourage fortement à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d'alimenter les discussions à propos de nos billets. Cependant, afin d'éviter les abus et les dérapages, veuillez noter que tout commentaire devra être approuvé par un modérateur avant d'être publié et que nous conservons l'entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.