jeudi 4 janvier 2024

La bonne foi comme critère d'institution d'une action dérivée

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous avons déjà traité des critères à satisfaire pour obtenir l'autorisation d'instituer une action dérivée. Un de ces critères est que la partie requérante doit agir de bonne foi. Or, la question se pose de savoir qu'est-ce qu'est la bonne foi en la matière. L'Honorable juge Catherine Piché répond à cette question dans l'affaire 9202-3704 Québec inc. c. 9218-2708 Québec inc. (2023 QCCS 4786).


La juge Piché est saisie de la requête de la Demanderesse pour permission d'instituer une action dérivée en vertu de la Loi sur les sociétés par actions

La Défenderesse ne conteste pas la satisfaction des trois premiers critères applicables, mais elle fait valoir que la Demanderesse ne présente pas sa demande de bonne foi. C'est ce qui amène la juge Piché à faire l'analyse spécifique de ce critère. 

Elle rappelle d'abord que la bonne foi dans ce contexte commande à la Cour de déterminer si le recours proposé sera à l'avantage de la personne morale:
[20] Dans le présent dossier, d’entrée de jeu, les critères 1, 2 et 3 sont admis par la défenderesse 9218. Cette dernière conteste la Demande sur la base de la mauvaise foi de 9202 et du fait de la frivolité des actions dérivées envisagées. 
[21] Le fardeau de la preuve incombe à 9202. 
[22] L’arrêt St-Germain c. St-Germain de la Cour d’appel établit les principes applicables quant à la bonne foi et l’intérêt de la société :
« [38] La bonne foi n’est pas définie dans la L.c.s.a. Le texte de l’article exige que la plaignante « agi[sse] » de bonne foi lorsqu’elle demande un examen pour déterminer si l’action dérivée proposée est intentée pour des motifs appropriés plutôt qu’inavoués [7]. L’auteur Martel [8] nous enseigne que l’exercice est de déterminer si l’objectif principal de la plaignante est dans le meilleur intérêt de la compagnie et qu’elle n’agit pas pour des motifs cachés. Il réfère au jugement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Valgardson[9] qui déclare que l’exigence de la bonne foi requiert que la cour soit satisfaite que l’action proposée n’est pas frivole ni vexatoire. Dans cette affaire, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique infirmait le tribunal de première instance, qui avait mis l’accent sur l’animosité entre les parties et l’existence d’autres litiges entre elles, que la Cour d’appel avait qualifiés de secondaires. L’animosité entre justiciables, particulièrement dans ce type de litige, est commune et n’indique pas que l’action proposée est frivole ou vexatoire.

[39] Dans Holdyk c. Adolph[10], la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, en abordant le critère de bonne foi, s’interrogeait à savoir si les allégations de l’action proposée étaient suffisamment crédibles pour être plaidables (« believable enough to be arguable »).

[40] Je suis d’accord avec les principes mis de l’avant par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique et propose qu’ils soient reconnus et appliqués par notre Cour. »[5]

[Soulignements du Tribunal]
[23] Par ailleurs, comme notre Cour le reconnaissait récemment, contrairement à l’article 2805 C.c.Q., la bonne foi ne se présume pas et une simple allégation de bonne foi ne suffit pas. La demanderesse 9202 doit donc démontrer sa bonne foi en lien avec la Demande d’autorisation. Le juge Pinsonneault écrit, à cet égard, que:
« [61] (…) l’évaluation du Tribunal quant à la bonne foi (…) ne se limite pas à déterminer si l’action dérivée contient essentiellement des allégations « plaidables ».

[62] Bien que l’existence de relations historiques conflictuelles entre les parties soit de peu d’intérêt pour déterminer l’opportunité d’accueillir ou non la Demande d’autorisation, il n’en demeure pas moins qu’outre le libellé soi-disant « plaidable » de l’action dérivée proposée, le comportement procédural de la partie qui demande l’autorisation doit nécessairement comporter un certain poids.

[63] Le Tribunal doit aussi se questionner sur le véritable but de l’action dérivée.[14] L’évaluation du critère de la bonne foi dans le cadre d’une Demande d’autorisation pour intenter une action dérivée implique aussi que l’exercice est de déterminer si l’objectif principal de la plaignante est dans le meilleur intérêt de la compagnie et qu’elle n’agit pas pour des motifs cachés [15].

[64] À ce sujet, le Tribunal partage l’avis de l’avocat des défenderesses qu’il fait peu de doutes que 9351/Lauzon entend exercer une action dérivée pour des motifs cachés et dans l’unique but de servir les propres intérêts de Lauzon, ce qui permet de douter de la bonne foi en l’espèce. »

(…)

[94] Ainsi, le constat quant à l’absence de bonne foi de 9351/Lauzon en présentant une procédure tardive, voire abusive, eu égard aux circonstances particulières, cumulé au constat que l’action dérivée proposée n’est pas dans l’intérêt de GCG, mais dans l’intérêt purement personnel de Lauzon, justifie amplement le rejet de la Demande d’autorisation. »
En l'instance, la juge Piché est satisfaite que l'objectif visé - le rapatriement de sommes dans la personne morale - satisfait au critère de la bonne foi:
[26] Comme l’expliquait la Cour d’appel de l’Ontario dans Richardson Greenshields of Canada v. Kalmacoff, dont la permission d’appel en Cour suprême fut refusée, et laquelle fut citée par la Cour d’appel dans l’arrêt St-Germain sur la question de la bonne foi, vouloir sécuriser ses investissements ou ses affaires, même dans son propre intérêt, est cohérent avec la bonne foi:
« (…) self-interest is hardly a stranger to the security or investment business. Whatever the reason, there are legitimate legal questions raised here that call for judicial resolution. The fact that this shareholder is prepared to assume the costs and undergo the risks of carriage of an action intended to prevent the board from following a course of action that may be ultra vires and in breach of shareholders' rights does not provide a proper basis for impugning its bona fides. In my opinion, there is no valid reason for concluding that the good faith condition specified in s. 339(2)(b) has not been satisfied. »
[27] Ainsi, le Tribunal considère que le fait de vouloir rapatrier des sommes au sein de 9232 en vue de la liquidation de la compagnie démontre la bonne foi de 9202.
Référence : [2024] ABD 7

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