vendredi 23 avril 2021

Lorsque la Cour est saisie d'une demande d'homologation d'une sentence arbitrale, elle ne peut pas se pencher sur le fonds du litige et ce même lorsqu'on allègue que l'arbitrage traite de questions d'ordre public

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous avons déjà traité du fait qu'une partie ne peut contester l'homologation d'une sentence arbitrale au motif que le résultat est erroné ou même déraisonnable. On posera souvent la règle plus simplement en disant que la Cour saisie de la demande d'homologation ne peut se pencher sur le fonds du litige. Comme le souligne l'Honorable juge Peter Kalichman dans l'affaire Perreault c. Groupe Jonathan Benoît (2021 QCCS 1350), on ne peut mettre de côté cette règle simplement en alléguant que le résultat de l'arbitrage est contraire à l'ordre public.


Dans cette affaire, le juge Kalichman est saisi d'une demande d'homologation d'une sentence arbitrale. Cette sentence arbitrale s'est prononcée sur certains différends découlant de deux conventions unanimes d'actionnaires.

Les Défenderesses contestent cette demande d'homologation pour trois motifs, dont le fait que le résultat de l'arbitrage contreviennent aux dispositions d'ordre public du Code de déontologie des pharmaciens en permettant à M. Perreault de participer aux bénéfices provenant de la vente de médicaments malgré le fait qu'il ne soit pas pharmacien.

En effet, l'article 2639 C.c.Q. prévoit que ne peuvent être soumises à l'arbitrage, les questions "qui intéressent l’ordre public". Le législateur ajoute cependant au deuxième alinéa que "il ne peut être fait obstacle à la convention d’arbitrage au motif que les règles applicables pour trancher le différend présentent un caractère d’ordre public".

Le juge Kalichman doit donc déterminer si le fait de soulever des arguments qui se fondent sur l'ordre public permet aux Défenderesses de demander à la Cour de se pencher sur le fonds du litige.

Après analyse, le juge Kalichman en vient à la conclusion que la réponse à cette question est négative et qu'il serait contraire à la règle prohibant à la Cour de se pencher sur le fonds de l'arbitrage de conclure autrement:
[22] Les arguments soulevés par les Défenderesses attaquent l'interprétation de l'Arbitre d'une loi d'ordre public, à savoir le Code. Elles soutiennent qu'en raison de son interprétation du Code et de son application aux faits, l'Arbitre parvient à un résultat qui porte atteinte à l'ordre public et, par conséquent, ne peut être homologué. 
[23] Si les Défenderesses avaient raison dans leur argument, cela signifierait que chaque fois qu'un arbitre est tenu d'appliquer des règles d'ordre public pour trancher un litige, la sentence pourrait être annulée comme étant contraire à l'ordre public si on parvient à établir que ces règles n'ont pas été correctement appliquées. Le Tribunal ne peut souscrire à cette approche. 
[24] Tout d'abord, les parties peuvent convenir de soumettre un litige à l'arbitrage même si les règles applicables pour statuer sur ce litige sont d'ordre public. En fait, le Législateur a spécifiquement voulu que de telles questions ne soient pas exclues de l'arbitrage. Il serait illogique de laisser ces questions à un arbitre à l’exclusion des tribunaux de droit commun et de permettre ensuite que leurs décisions puissent être annulées par ces mêmes tribunaux sur la base d’un simple appel de leurs motifs. 
[25] De plus, afin de convenir avec les Défenderesses que l'Arbitre a commis une erreur dans son application du Code, le Tribunal serait tenu de procéder à un examen du fond de la Sentence arbitrale, ce qui lui est strictement interdit. 
[26] Quoi qu'il en soit, les mêmes arguments ont été soulevés devant l'Arbitre et ont été rejetés. Plus précisément, l'Arbitre a déterminé que malgré les décisions du Conseil, M. Perreault avait le statut nécessaire pour réclamer un paiement en vertu des Conventions et que les Conventions ne contrevenaient pas à l'art. 49 du Code. 
[27] Pour annuler une sentence arbitrale ou s'opposer à son homologation au motif qu'elle est contraire aux principes fondamentaux de l'ordre public, une partie doit faire plus que simplement démontrer que l'arbitre a commis une erreur dans son application des règles d'ordre public. Elle doit démontrer que le résultat lui-même est incompatible avec l'ordre public. Or, en l'espèce, la Sentence arbitrale ordonne que les actions d'une partie soient rachetées par une autre partie. Il n'y a rien dans ce résultat qui porte atteinte aux principes fondamentaux de l'ordre public. 
[28] Les Défenderesses n'ont pas réussi à démontrer que la Sentence arbitrale contrevient aux principes fondamentaux de l’ordre public. Par conséquent, cet argument doit être rejeté.   

Référence : [2021] ABD 161

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