vendredi 9 février 2018

Le caractère erroné ou même déraisonnable d'une sentence découlant d'un arbitrage conventionnel n'est pas un motif d'annulation de celle-ci

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Il y a plusieurs années, bon nombre de juristes prédisaient que l'arbitrage conventionnel connaîtrait une véritable explosion et réglerait le problème de congestion des tribunaux. Ce n'est pas arrivé. Pourquoi? Parce que nonobstant les avantages évidents et indéniables de l'arbitrage conventionnel, la sentence arbitrale qui en découle ne peut faire l'objet d'un appel ou d'une révision par les tribunaux même si la décision est erronée ou même déraisonnable et cela fait peur à plusieurs avocats. L'impossibilité de procéder à la révision d'une sentence arbitrale conventionnelle est réitérée par l'Honorable juge Karen M. Rogers dans l'affaire Village de la gare c. Pion Ignjatovic (2018 QCCS 882).



Dans cette affaire, la juge Rogers est saisie d'une demande d'annulation d'une sentence arbitrale présentée par la Demanderesse. 

Avant de passer à l'analyse des moyens avancés par la Demanderesse, la juge Rogers rappelle qu'il ne saurait être question de déterminer si la sentence est erronée ou même déraisonnable. En effet, les motifs d'annulation prévus aux articles 645. 646 et 648 C.p.c. sont les seuls qui peuvent être invoqués:
[19] Les parties reconnaissent que le moyen de contestation de la Sentence arbitrale se fait par une demande d’annulation en vertu de l’article 648 C.p.c. plutôt que par un pourvoi en contrôle judiciaire en vertu des articles 34 et 529 C.p.c.  
[20] Le Tribunal est d’accord. 
[21] Dans la décision Conseil d’arbitrage des comptes des avocats du Barreau de Québec, la Cour d’appel écrit :
Je retiens de cet arrêt que si la juridiction de l'arbitre est décrétée par une loi, mais que, lors de la survenance d'un différend, les parties peuvent y échapper d'un commun accord ou encore par la partie défenderesse ne s'opposant pas à ce que les procédures intentées devant une cour de justice se continuent, nous sommes néanmoins en présence d'un arbitrage considéré de nature conventionnelle, par opposition à l'arbitrage statutaire […].
[22] La jurisprudence enseigne que la procédure d’arbitrage prévue au Plan de garantie conserve son caractère consensuel car la Propriétaire maintient son droit de s’adresser aux tribunaux judiciaires en vertu des dispositions du Code civil du Québec.  
[23] Donc, le seul moyen de se pourvoir contre la Sentence arbitrale est effectivement de demander l’annulation en vertu de l’article 648 C.p.c., laquelle obéit aux mêmes règles qu’une demande en homologation.  
[24] Le législateur énonce clairement à l’article 645(2) C.p.c. qu’un Tribunal saisi de ces demandes ne peut examiner le fond du différend dont a été saisi l’arbitre. En effet, un Tribunal ne peut intervenir que si l’un des cas énumérés à l’article 646 C.p.c. est établi.  
[25] À cet égard, la Cour d’appel dans la décision Coderre rappelle que :
[45] Dans un autre ordre d'idées, l'intervention de la Cour, comme celle de la Cour supérieure, s'inscrit dans le cadre de l'application des articles 946.4 et 947.2 C.p.c. et diffère de celle que l'on adopte dans le cadre d'une procédure de révision judiciaire. Il ne s'agit donc pas ici de se demander si les motifs ou les dispositifs des sentences litigieuses sont appropriés, opportuns, corrects, justes, équitables ou raisonnables, l'article 946.2 C.p.c. interdisant au tribunal de l'homologation ou de l'annulation d'examiner le fond du différend. Il s'agit uniquement de s'assurer que ces sentences ou le processus qui y a mené ne comportent pas l'un ou l'autre des vices indiqués à l'article 946.4 C.p.c. En l'occurrence, comme on le verra, sont en jeu les paragraphes 3 (violation des règles de justice naturelle) et 4 (dépassement des termes de la convention d'arbitrage) du premier alinéa de cette disposition. 
[Soulignements ajoutés]
[26] Dans la décision Endorecherche inc., la Cour d’appel réitère les limites du droit d’intervention des tribunaux à l’égard d’une sentence arbitrale :
[11] En d’autres mots, à partir du moment où le résultat de la sentence arbitrale est rattaché au litige soumis à l’arbitrage, l’intervention des tribunaux de droit commun n’est ni possible ni souhaitable. Tout dépend ainsi du lien de connexité de la question tranchée par l’arbitre avec le litige qui lui est soumis, ce lien de connexité devant être interprété largement. Ces principes législatifs et jurisprudentiels furent appliqués par notre Cour dans les arrêts Viandes du Breton inc. c. Notre-Dame-du-Lac (Ville de), H.A. Grétry inc. c. 9065-3627 Québec inc. et Patti c. Hammerschmid.  
[…]  
[15] Les principes suivants peuvent être dégagés à ce stade-ci : le recours en révision judiciaire ne peut être utilisé pour contester une décision arbitrale, de sorte que le caractère raisonnable ou non de celle-ci, en droit ou en fait, n’est pas en jeu; ce recours, et encore moins l’appel, ne permettent d’examiner le fond d’une décision arbitrale et de statuer sur sa justesse; une corrélation de la nature d’un lien de connexité doit exister entre la convention d’arbitrage et le résultat auquel parvient l’arbitre; lorsque tel est le cas, l’intervention des tribunaux de droit commun est exclue. […] 
[Références omises]
Référence : [2018] ABD 59

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