jeudi 8 février 2018

La sanction du refus d'une partie de se soumettre à un interrogatoire préalable n'est pas nécessairement le rejet de son recours ou de sa défense

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Il y a quelques jours, nous attirions votre attention sur une décision de la Cour supérieure qui indiquait que le rejet d'une action pour défaut de se soumettre à un interrogatoire ne pouvait se justifier que si le refus est sans équivoque. Reste que même dans un tel cas, la sanction appropriée n'est pas nécessairement le rejet du recours. C'est ce que souligne l'Honorable juge Frédéric Bachand dans l'affaire Jean-Baptiste c. Zamor (2018 QCCS 401).


Dans cette affaire, le juge Bachand est saisi de la réclamation d’une partie du produit de la vente d’un immeuble indivis. Avant de se pencher sur le fond du litige cependant, il doit se prononcer sur une demande de rejet qui a été référée au fond de l'affaire.

Cette demande de rejet se fonde sur le refus du Demandeur initial de se soumettre à un interrogatoire préalable avant son décès. La Défenderesse fait valoir que ce refus l'a privé du droit à une défense pleine et entière.

Le juge Bachand indique que ce refus - bien qu'abusif et justifiant une sanction - ne peut justifier le rejet du recours. En effet, c'est le décès du Demandeur initial et non son refus de se soumettre à un interrogatoire qui a privé la Défenderesse d'une preuve pertinente:

[14] Le manque de coopération dont a fait preuve M. Jean-Baptiste en 2013 est, certes, déplorable. Cependant, ce constat ne suffit pas pour conclure au rejet de son action.  
[15] Il convient de rappeler d’abord que, depuis l’abrogation de l’article 75.1 de l’ancien C.p.c. en 2009, aucune disposition du C.p.c. ne prévoit que le défaut d’une partie de se soumettre à un interrogatoire préalable peut entraîner le rejet de la demande ou de la défense. L’interrogatoire préalable étant assujetti aux règles applicables au témoignage livré lors de l’enquête (article 227 al. 1 C.p.c.), une partie peut réagir au défaut de son adversaire de se soumettre à un interrogatoire préalable en demandant à la Cour de décerner un mandat d’amener. Or, Mme Zamor n’a jamais demandé que soit décerné un tel mandat à l’encontre de M. Jean-Baptiste. 
[16] Cela dit, le refus de se soumettre à un interrogatoire préalable peut, dans certaines circonstances, constituer un abus de procédure au sens des dispositions pertinentes du C.p.c.. Un tel constat peut notamment mener au rejet d’une action ou d’une défense en vertu de l’article 53 al. 1 C.p.c. Cependant, à supposer même que le comportement de M. Jean-Baptiste en 2013 ait été abusif, le rejet de son action ne constituerait pas une sanction appropriée. Le manque de coopération de M. Jean-Baptiste a retardé le déroulement de l’instance, mais il n’a pas — en soi — rendu impossible la tenue d’un interrogatoire préalable. C’est plutôt son décès qui a privé Mme Zamor de toute possibilité de l’interroger au préalable. 
[17] Madame Zamor soutient aussi que son droit fondamental à une défense pleine et entière a été brimé en raison du fait qu’elle n’a pas réussi à interroger M. Jean-Baptiste avant son décès. Je n’en suis pas convaincu. Comme la Cour d’appel l’a souligné dans Crane Canada Inc. c. Sécurité nationale, cie d’assurance, « l’interrogatoire préalable n’est pas une composante du droit à l’audition protégé par l’article 23 de la Charte et […] un procès sans interrogatoire préalable ne contrevient pas à l’article 23 ». 
[18] Il y a cependant lieu de sanctionner le manque de coopération dont a fait preuve M. Jean-Baptiste en accordant à Mme Zamor une indemnité en compensation des frais, y compris les frais d’avocat, qu’elle a encourus. Certes, l’article 342 C.p.c., qui permet de sanctionner les manquements importants aux règles de procédure en ordonnant à la partie défaillante de rembourser à son adversaire une partie de ses frais d’avocat, n’était pas en vigueur en 2013. Néanmoins, par son comportement, M. Jean-Baptiste a contrevenu à l’obligation de bonne foi qui lui incombait au terme de l’article 4.1 de l’ancien C.p.c. Son comportement était donc fautif, de sorte qu’il devait répondre du préjudice en résultant (article 1457 C.c.Q.). Bien que la preuve soit mince quant aux frais que Mme Zamor a encourus en raison du manque de coopération de M. Jean-Baptiste, j’estime qu’il est justifié de lui accorder, comme elle le demande, des dommages-intérêts de 2 000 $.
Référence : [2018] ABD 58

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