Renno Vathilakis Inc.
Il y a un peu plus de quatre ans, je critiquais une décision de la Cour supérieure en matière de droit international privé et plus particulièrement sur la notion du préjudice subi au Québec. J'émettais l'opinion à l'époque que le fait que le seul établissement d'une compagnie est au Québec ne suffisait pas pour conclure qu'elle y subissait un préjudice, contrairement à ce qu'avait décidé la Cour supérieure. Or, dans la décision très récente qu'elle a rendu dans l'affaire Partner Reinsurance Company Ltd. c. Optimum Réassurance inc. (2020 QCCA 490), la Cour d'appel se penche sur la question, mais ajoute surtout que l'on ne doit pas seulement regarder la question du préjudice financier pour les fins de l'article 3148 (3) C.c.Q.
Dans cette affaire, l'Appelante se pourvoit à l'encontre d'un jugement de première instance rendu par l'Honorable juge Michel A. Pinsonnault, lequel avait rejeté son exception déclinatoire et conclut que l'article 3148(3) C.c.Q. donnait juridiction aux tribunaux québécois en l'instance.
L'Appelante plaide - entre autres choses (nous reviendrons sur un autre aspect de la décision cet après-midi) - que le juge de première instance a eu tort de conclure qu'un préjudice avait été subi au Québec. Elle fait plutôt valoir que le préjudice y a été simplement comptabilisé.
Au nom d'une formation unanime, l'Honorable juge Geneviève Marcotte exprime l'opinion que le juge de première instance est bien fondée. Après une revue en profondeur de la jurisprudence pertinente (que je vous recommande fortement), la juge Marcotte souligne qu'il ne faut pas uniquement s'arrêter au préjudice économique, mais également prendre en compte tous les préjudices allégués.
En l'instance, lesdits préjudices allégués - lesquels doivent être pris pour avérés à ce stade - sont suffisants pour donner juridiction aux tribunaux québécois:
[79] Dans son jugement, le juge de première instance a d’ailleurs jugé opportun de reproduire un extrait des propos de la Cour suprême. Il a également repris à son compte les motifs du juge Kasirer relativement à l’opportunité de considérer le lieu de conclusion du contrat, à l’origine des dommages réclamés, comme un fait juridique susceptible de déterminer le lieu du préjudice subi.
[80] L’appelante plaide que, ce faisant, le juge se serait trompé, puisqu’il aurait fondé sa conclusion concernant le lieu du préjudice subi sur le seul fait que le contrat d’Amendement, dont il découle, a été conclu au Québec.
[81] L’appelante a raison de soutenir que le législateur a exclu le lieu de la conclusion du contrat comme facteur de rattachement, puisqu’il établissait des liens trop ténus avec les autorités québécoises, de sorte qu’il ne peut s’agir d’un critère suffisant pour conférer à lui seul compétence aux tribunaux québécois.
[82] Cela dit, l’appelante ne peut prétendre qu’il s’agit du seul facteur ou « fait juridique » qu’a considéré le juge de première instance pour conclure à l’application de l’article 3148(3) C.c.Q. J’estime qu’il s’agit plutôt d’un fait juridique retenu parmi d’autres.
[83] Il est vrai que le juge ne s’est pas attardé longuement aux autres préjudices invoqués par l’intimée, autrement qu’en les résumant dans son analyse et en reproduisant les allégations de préjudice contenues dans la procédure, qu’il a déclaré tenir pour avérées en l’absence de contestation de l’appelante. Cependant, il n’était pas tenu d’en faire une analyse exhaustive à cette étape, d’autant que le préjudice dont il est question à l’article 3148(3) C.c.Q. n’est sujet à aucune restriction quant à son montant ou à sa nature, qu’il n’a pas à être direct et que l’analyse du moyen déclinatoire n’oblige pas le juge des requêtes à se prononcer prématurément sur le fond du litige, comme le signalait la Cour suprême dans Spar.
[84] Cela dit, en l’espèce, le préjudice invoqué par l’intimée est lié non seulement au préjudice économique découlant du fait d’être privé de l’encaissement des valeurs de reprise, mais également au préjudice découlant des difficultés de gestion que lui occasionne le défaut de l’appelante de lui verser ces montants. Suivant les allégations de la procédure, le refus de l’appelante de reconnaître la validité de l’exercice des droits de reprise de l’intimée affecte sa gestion des portefeuilles au Québec, qui comprennent des contrats d’assurance sur la vie d’assurés québécois, et il entraîne une réduction de sa capacité à faire face aux réclamations des assurés au Québec et celle d’y placer de nouveaux risques. C’est également au Québec que l’intimée a dû débourser des honoraires pour l’embauche d’une actuaire aux fins de déterminer les BEA.
[85] Il ne s’agit donc pas, dans l’un et l’autre de ces cas, d’un préjudice subi ailleurs et seulement comptabilisé au Québec. Il y a donc ici un contexte bien différent de celui qui prévalait dans les causes invoquées par l’appelante. Qu’il s’agisse, par exemple, de l’affaire Regenair mentionnée précédemment (où les obligations devaient être exécutées hors Québec, tout comme le paiement de la dette, bien que le contrat ait été conclu à Montréal) ou de l’affaire Green Planet Technologies Ltd. c. Corporation Pneus OTR Blackstone/OTR Blackstone Tire Corporation (où l’intimée, une société québécoise, poursuivait l’appelante au Québec en remboursement d’un acompte versé pour la livraison de pneus à l’étranger, en invoquant que le virement avait été fait à partir de la banque de l’intimée, située à Montréal, à la banque de l’appelante à Londres), la Cour y avait conclu que le préjudice n’avait pas été subi à Montréal, bien que l’intimée ait amendé sa demande introductive d’instance en appel afin de réclamer la perte de profits subie au Québec. [...]
Référence : [2020] ABD 135
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