jeudi 2 avril 2020

Une clause d'arbitrage n'a pas à expressément mentionner le recours en oppression pour que l'arbitre possède la jurisdiction de se saisir d'un tel recours

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

La décision récente rendue par l'Honorable juge Frédéric Bachand dans l'affaire Groupe Dimension Multi Vétérinaire inc. c. Vaillancourt (2020 QCCS 1134) est d'un grand intérêt pour ceux qui suivent le monde de l'arbitrage. En effet, le juge Bachand se prononce clairement sur l'argument voulant qu'un arbitre conventionnel n'a le pouvoir de se saisir d'un recours en oppression que si les parties lui ont expressément donné ce pouvoir.


Le juge Bachand est ici saisi du moyen déclinatoire du Défendeur qui demande le renvoi du recours en oppression intenté par la Demanderesse en arbitrage. Le Défendeur allègue en effet que la convention unanime d'actionnaires contient une clause d'arbitrage d'application générale, laquelle couvre le présent recours.

La clause d'arbitrage en question est libellé comme suit:
Tout différend ou litige qui viendrait à se produire à la suite ou à l’occasion de la présente convention sera tranché définitivement par voie d’arbitrage et à l’exclusion des tribunaux, conformément au règlement d’arbitrage du "Centre d’Arbitrage Commercial National et International du Québec" ou à défaut, selon les règles prévues au Code de procédure civile du Québec.

La Demanderesse concède que depuis la décision de la Cour d'appel dans Acier Leroux, il est possible pour un arbitre de se prononcer sur un recours en oppression. Elle ajoute cependant qu'il est nécessaire que la clause d'arbitrage inclut expressément ce pouvoir.

Après analyse, le juge Bachand rejette la position de la Demanderesse. Dans la mesure où le libellé de la clause d'arbitrage est suffisament général, celle-ci permettra à l'arbitre de se saisir d'un recours en oppression. D'ailleurs, le juge Bachand souligne que le raisonnement de la Demanderesse est contraire au principe général voulant que l'on doit donner une portée large et libérale aux clauses compromissoires:
[29] Bref — et contrairement à ce que soutient la demanderesse —, on ne saurait parler d’un véritable courant jurisprudentiel consacrant l’existence d’une règle jurisprudentielle selon laquelle une clause d’arbitrage n’est applicable à des recours en matière d’oppression que si les parties l’ont expressément souhaité. 
[30] Il est d’ailleurs heureux qu’il en soit ainsi, car à bien y penser, une telle règle serait difficilement conciliable avec les principes généraux de l’arbitrage conventionnel. 
[31] Le plus important de ces principes est celui consacrant l’autonomie de la volonté, un principe fondamental qui, sans être absolu, constitue la pierre d’assise de tout le droit moderne de l’arbitrage conventionnel. Ce principe implique notamment qu’il importe de respecter et de donner pleinement effet à la volonté que les parties ont exprimée en choisissant de recourir à ce mode de résolution de leurs différends. Si, ce faisant, les parties ont réellement eu l’intention de limiter la compétence du tribunal arbitral à certains types de différends, leur volonté devra être respectée, et ce, même s’il s’avérait ultérieurement que ce choix n’avait pas été des plus opportuns. Toutefois, le principe de l’autonomie de la volonté sera mis à mal lorsque l’on conclura à l’existence de limites à la compétence du tribunal arbitral que les parties n’avaient pas réellement souhaité établir. Or, c’est précisément à une telle conclusion qu’est susceptible d’aboutir une analyse fondée sur une présomption comme celle qu’invoque la partie demanderesse dans la présente affaire. 
[32] Compte tenu de l’interprétation « large et libérale » qu’il faut donner aux clauses d’arbitrage ainsi que de la politique législative favorisant le développement de l’arbitrage conventionnel, la présomption qui devrait guider l’analyse de l’étendue de la compétence d’un tribunal arbitral en est plutôt une selon laquelle les parties, dans un souci d’efficacité, ont souhaité conférer au tribunal arbitral le pouvoir de connaître de tous les litiges découlant directement ou indirectement de leur relation contractuelle, et ce, afin d’éviter la multiplicité des instances et les risques de décisions contradictoires. Comme l’explique très bien l’auteur Gary Born, dans un extrait de son ouvrage sur l’arbitrage commercial international offrant une analyse qui est tout aussi applicable dans un contexte d’arbitrage interne:
The more reliable and authentic expression of the parties’ intentions is their choice of international arbitration to resolve their disputes. As discussed above, that choice carries with it a presumptive desire for a single, neutral, efficient and competent dispute resolution mechanism, in order to avoid jurisdictional disputes and multiplicitous litigations. These expectations are materially advanced through an expansive interpretation of the scope of international arbitration agreements. At the same time, such an approach also serves the public interest by avoiding costly and unproductive litigation (“the irritatingly large quantity of court litigation,” noted above) over the scope of arbitration agreements and by encouraging international commerce (by facilitating the efficacy and efficiency of the arbitral process). 
Accordingly, in most cases, the better approach to the interpretation of international arbitration agreements is a robust “pro-arbitration” presumption in favor of encompassing all disputes relating to the parties’ contract within their arbitration agreement. Although this presumption should not be used to rewrite the parties’ agreement, in all cases of doubt about the scope of an international arbitration agreement, such clauses should be interpreted liberally to include, rather than to exclude, disputes and to ensure insofar as possible that all of the parties’ disagreements are resolved in a single forum, rather than in multiple, possibly contradictory proceedings. 
A “pro-arbitration” presumption is particularly — but not only — appropriate in instances where the parties have agreed to arbitrate their disputes under a contract and the question is whether noncontractual disputes related to the same contract also fall within the scope of the arbitration clause. In these circumstances, very few business men or women would conceive that different forums should decide different parts of their dispute, with the ensuing duplication of effort, expense and possibility of inconsistent results. In the words of a well-reasoned Singaporean appellate decision:
“The underlying basis for a generous approach towards construing the scope of an arbitration clause is the assumption that commercial parties, as rational business entities, are likely to prefer a dispute resolution system that can deal with all types of claims in a single forum.”
Consistent with this analysis, the strong presumption in virtually all commercial settings should be that the parties desired a single dispute resolution mechanism before one decision-maker for all disputes relating to their agreement. 
[Soulignement ajouté; références omises]
[33] En somme, il y a lieu de considérer que la compétence d’un tribunal arbitral conventionnel s’étend à tous les litiges se rapportant directement ou indirectement au contrat dans lequel la clause d’arbitrage est insérée, à moins qu’il ne se dégage du libellé de cette clause, ou encore d’éléments contextuels pertinents, une réelle intention des parties d’en limiter la portée. 
[34] Dans la présente affaire, la clause d’arbitrage est rédigée de manière très large (« [t]out différend ou litige qui viendrait à se produire à la suite ou à l’occasion de la présente convention »), elle ne contient aucune stipulation destinée à limiter la compétence du tribunal arbitral, et aucun autre élément du dossier ne révèle une quelconque intention des parties à la convention d’actionnaires de 1993 de limiter cette compétence à certains types de recours ou à certaines matières. En outre, les réclamations du défendeur fondées sur l’article 450 LSA ont incontestablement été introduites « à la suite ou à l’occasion de » la convention d’actionnaires de 1993, car elles ont toutes trait à divers aspects de la gestion et de la gouvernance de la demanderesse. 
[35] À la lumière du cadre juridique qui vient d’être exposé, il faut conclure que la thèse de la demanderesse est mal fondée. Sa demande doit donc être rejetée.
Référence : [2020] ABD 134

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