jeudi 2 janvier 2020

La partie qui désire remettre en question la qualification d'un contrat faite par un juge de première instance doit produire la preuve complète faite au procès (ma critique)

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

La tendance est maintenant indéniable: la Cour d'appel exige de plus en plus souvent la transcription de la preuve faite en première instance avant d'intervenir sur une question factuelle ou mixte de faits et de droit. En fait, c'est habituellement la Cour oppose habituellement une fin de non-recevoir en l'absence de cette transcription. Dans  Distribution financière Sun Life (Canada) inc. c. Lamontagne (2019 QCCA 2162), la Cour va jusqu'à indiquer qu'elle ne peut se prononcer sur la qualification juridique d'un contrat sans cette transcription de la preuve.


L'Appelante dans cette affaire se pourvoit contre un jugement de première instance qui l'a condamné à verser à l'Intimée une indemnité de terminaison suite à la résiliation d'un contrat

L'Appelante plaide que le contrat en question est un contrat de service, de sorte qu'elle pouvait y mettre fin sans indemnité. Le juge de première instance a plutôt conclu qu'il s'agissait d'un contrat sui generis puisque ses caractéristiques participaient à la fois du contrat d'emploi et du contrat de service.

Une formation unanime de la Cour en vient à la conclusion qu'elle ne peut intervenir sur la question faute de reproduction de la preuve faite en première instance:
[2] La thèse de l’appelante repose sur la prémisse selon laquelle le juge aurait conclu que le Contrat en est un de service, lequel serait régi exclusivement par les articles 2125 et 2129 C.c.Q. L’intimée, dans son exposé, invite plutôt la Cour à y voir un contrat de travail, assujetti aux articles 2085 et s. C.c.Q. 
[3] Il est vrai que les motifs du juge sur cette question peuvent porter à interprétation. Celui-ci retient que la relation entre les parties comporte plusieurs éléments qui s’inspirent d’un contrat d’emploi, comme il l’écrit au paragraphe 101 de ses motifs. Il conclut néanmoins que l’intimée n’est pas une employée, tout en précisant du même souffle que les particularités du Contrat ne correspondent pas non plus stricto sensu au contrat de service tel que défini à l’article 2098 C.c.Q. « puisqu’il est difficile de décrire [l’appelante] comme étant le client de [l’intimée] ». Il ajoute d’ailleurs que les articles 2125 et 2129 C.c.Q. ne s’appliquent pas aux faits de l’espèce. 
[4] La qualification du contrat est ici une question mixte de fait et de droit. Or, les parties ont renoncé à produire la transcription de la preuve faite à l’audience. Dans un tel contexte, et malgré que certains passages du jugement soulèvent des questionnements, la Cour ne dispose pas des éléments factuels requis pour intervenir sur cette question.
Commentaire:

Avec égards, la Cour me semble aller trop loin ici.

Dans un contexte où les coûts reliés à la justice sont une préoccupation importante, forcer la partie qui veut attaquer la qualification juridique d'un contrat en appel à produire toute la preuve faite en première instance me semble excessif. C'est particulièrement vrai dans un contexte où l'exercice de qualification d'un contrat se base presque (je dis bien presque) exclusivement sur le contrat lui-même.

Les lecteurs assidus d'À bon droit savent que je déplore la tendance grandissante des tribunaux d'appel de restreindre leur champ d'intervention possible au nom de la saine administration de la justice. Cette tendance - si elle est compréhensible et à un certain point justifiable - heurte un des piliers de notre système de justice: la recherche de la vérité et du bon résultat. 

Hormis des circonstances exceptionnelles qui ne me semblent pas présentes ici, la qualification d'un contrat ne nécessite pas de reproduire la preuve complète faite en première instance. Je souligne à cet égard qu'il n'y a pas si longtemps, on considérait la qualification d'un contrat comme une pure question de droit. Forcer la partie appelante à reproduire le dossier découragera plusieurs appels. Je comprends que c'est possiblement l'objectif, mais je suis en désaccord. La barre est déjà assez haute (erreur manifeste et dominante) qu'il ne semble pas approprié d'y ajouter.

J'ajoute finalement que le nombre grandissant de décisions de la Cour d'appel qui exige la reproduction du dossier de première instance me semble également contradictoire avec un autre dictum important de la Cour: le fait qu'il n'est pas son rôle de refaire le procès et l'analyse de la preuve.

Référence : [2020] ABD 4

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