mardi 20 août 2019

La preuve à faire en matière de passation de titre pour démontrer que la condition relative au financement était satisfaite

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Dans un recours en passation de titre, la question du financement est parfois double. Il faut bien sûr démontrer que la partie demanderesse a les fonds au moment du jugement. Mais il faut également parfois démontrer que le financement était disponible au moment de la conclusion du contrat lorsque celui-ci était conditionnel à l'obtention d'un financement. C'est de cette dualité que la Cour d'appel traite dans l'affaire Renaud c. Cyr (2019 QCCA 1348).


Dans cette affaire, les Appelants se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure rendu le 1er mai 2018, lequel accueille la demande en passation de titre et en dommages-intérêts de l’Intimé, rejette l’acte d’intervention volontaire de l’Appelante Maria Doyle et prononce la compensation entre les dommages octroyés et le prix de vente.

L'argument principal des Appelants est que l’Intimé n’a pas respecté une des conditions de la promesse de vente, soit de démontrer qu’il avait obtenu le financement nécessaire à l’achat le 31 janvier 2016. Ils plaident que le document signé par l’Appelant et l’Intimé le 18 janvier 2014 comportait une telle obligation et que cela constituait une condition de validité de l’entente. Or, selon eux, aucun des documents émis par les institutions financières avant l’expiration du délai indiqué dans la promesse ne faisait cette démonstration puisqu’ils n’étaient qu’expression d’intérêt ou offre de financement dont les conditions n’avaient pas alors été remplies ou n’était assortie de réserves et conditions faisant en sorte qu’ils ne constituaient pas l’obtention d’un financement requis.

L'Honorable juge Stéphane Sansfaçon, au nom d'une formation unanime, rejette l'argument des Appelants et souligne que la question n'est pas aussi simpliste que de déterminer si l'Intimé avait en sa possession un financement final et complet à la date prévue dans la promesse de vente.

Il faut plutôt regarder le libellé précis de la promesse de vente pour déterminer quelle était l'obligation de l'Intimé. Qui plus est, il faut analyser la preuve pour déterminer si l'Intimé aurait obtenu le financement requis, même si celui-ci était conditionnel. À ce chapitre, le juge Sansfaçon indique que le juge de première instance (l'Honorable juge Alain Michaud) s'est bien dirigé sur la question:
[18] Quant à savoir si une promesse comporte une telle condition, la réponse dépendra de l’interprétation qui en sera donnée. Le rôle d’un tribunal d’appel et les limites à son pouvoir d’intervention, lorsque invité à revoir la lecture d’un contrat faite par un juge de première instance, ont été encadrés par la Cour suprême dans Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec :
[49] Cela dit, il convient de rappeler qu’en l’espèce, tant l’interprétation que la qualification du Contrat demeurent des questions mixtes de fait et de droit : Uniprix inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé inc., 2017 CSC 43 (CanLII), [2017] 2 R.C.S. 59, par. 41‑42; voir aussi Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53 (CanLII), [2014] 2 R.C.S. 633, par. 50. Puisqu’elles portent sur un ensemble particulier de circonstances qui n’est pas susceptible de présenter d’intérêt à titre de précédent, l’interprétation et la qualification de ce Contrat par le juge d’instance ne peuvent être renversées qu’en cas d’erreur manifeste et déterminante : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 235, par. 28 et 36.
[19] Dans Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., la Cour suprême rappelait un des fondements de cette déférence due par le tribunal d’appel à l’égard du jugement de première instance :
De même, la Cour dans l’arrêt Housen conclut que la retenue à l’égard du juge des faits contribue à réduire le nombre, la durée et le coût des appels tout en favorisant l’autonomie du procès et son intégrité (par. 16-17). Ces principes militent également en faveur de la déférence à l’endroit des décideurs de première instance en matière d’interprétation contractuelle. Les obligations juridiques issues d’un contrat se limitent, dans la plupart des cas, aux intérêts des parties au litige. Le vaste pouvoir de trancher les questions d’application limitée que notre système judiciaire confère aux tribunaux de première instance appuie la proposition selon laquelle l’interprétation contractuelle est une question mixte de fait et de droit.
[20] C’est à tort que les appelants soutiennent que le juge a confondu l’obligation de démontrer que le financement avait été obtenu à titre de condition de validité de la promesse de vente assortie de l’obligation d’en faire la démonstration préalablement à l’exercice du recours. 
[21] Cet élément est analysé par le juge aux paragraphes [154] à [156] de son jugement. Il conclut (au paragr. [160]) que l’intimé « doit donc démontrer qu’il avait le financement nécessaire, fin janvier 2016, pour procéder à la transaction qu’il réclame » et que cette « condition » de la promesse de vente n’ajoute rien à la condition d’offrir et consigner le prix de vente nécessaire pour forcer la passation du titre. Il note que les situations en litige dans les arrêts Ferme Miclair 2000 inc. c. Lapierre, Penterman c. Ferme brune des Alpes inc. et Kouddar c. Benoît, cités par les appelants, se distinguent. Dans ces trois arrêts, la Cour avait conclu que les conditions particulières stipulées dans les promesses de vente conditionnaient le droit d’action : dans deux des cas, la promesse de vente stipulait expressément comme condition que le promettant acheteur fasse un dépôt dans un délai déterminé, ce qu’il n’avait pas fait, et dans le troisième, qu’il devait avoir obtenu son financement dans le délai mentionné dans la promesse, mais aussi en avoir remis la preuve « au promettant vendeur avant cette date, faute de quoi la présente promesse de vente sera nulle et non avenue », ce qu’il n’avait pas fait. 
[22] En l’espèce, la promesse ne prévoyait aucune telle obligation de démontrer qu’il possédait le financement requis à une date précise. 
[23] Le juge tient aussi en compte le comportement des parties, dont la mauvaise foi des appelants. Il rappelle que ces derniers ont d’abord tenté de se dégager de leur obligation de vendre en niant avoir signé la promesse de vendre, puis en niant la nature même du contrat. Ce n’est que tardivement qu’ils ont soulevé la question du financement qui, jusque-là, ne semblait pas leur poser de problème. Le juge conclut donc que les parties n’ont pas souhaité que démonstration de la disponibilité du financement soit faite avant le 31 janvier 2016 ou même lors du dépôt de la demande. L’important était que l’intimé disposait bien de ce financement le 31 janvier 2016, ce dont le juge devait s’assurer.  
[24] À la suite d’une analyse détaillée de la preuve, le juge conclut que l’intimé a toujours été en mesure d’obtenir les fonds nécessaires à l’achat et qu’ainsi la condition de la promesse de vente était satisfaite. Il s’appuie notamment sur le témoignage du directeur général de la Caisse populaire de Havre-aux-Maisons, M. Francis Simard. Bien que sa lettre d’intention du 15 octobre 2015 indique que le financement est conditionnel à l’octroi de garanties additionnelles, le juge a estimé que ces conditions avaient été remplies puisque M. Simard s’était alors assuré de la garantie exigée auprès de M. Albéric Cyr, le père de l’intimé. Le juge a aussi, et peut-être surtout, considéré le témoignage de M. Gino Ouellet, un entrepreneur prospère de la région et ami de l’intimé, selon lequel tant à l’été 2015 qu’au jour du procès, il était disposé à prêter à ce dernier l’intégralité du montant, sur simple demande de sa part, et la preuve par son comptable qu’il disposait durant toute cette période des fonds suffisants à cette fin. Ces témoignages ont été jugés crédibles.
Commentaire:

Voilà une décision qui m'apparaît importante et utile en la matière. Les offres de financement sont toujours conditionnelles, de sorte qu'il est trop simpliste de prétendre que toute condition fait en sorte que la condition de financement prévue dans une promesse n'est pas remplie.

L'approche du juge Michaud, avalisée par le juge Sansfaçon, me semble logique et conforme à l'objectif de donner effet au consentement librement manifesté par les parties. 

Référence : [2019] ABD 331

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