mercredi 21 août 2019

La Cour d'appel réitère qu'il est contraire au droit contractuel commun de permettre à une partie d'exclure contractuellement sa responsabilité en cas de non-exécution de sa prestation principale

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Les lecteurs assidus d'À bon droit savent que je fais campagne depuis longtemps pour que la théorie modifiée du fundamental breach soit incorporée en droit québécois, i.e. qu'il ne soit pas possible pour une partie d'exclure sa responsabilité pour la prestation fondamentale ou caractérisée du contrat. Nous avons d'ailleurs déjà traité de décisions de la Cour d'appel qui posent le principe. C'est pourquoi je me réjouis de la décision récente rendue par la Cour d'appel dans l'affaire Canadian National Railway Company c. Ace European Group Ltd. (2019 QCCA 1374).



La présente affaire se présente sous l'égide de la Loi sur les transports au Canada

L’Appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 13 juin 2017 par l’honorable Suzanne Courchesne de la Cour supérieure qui la condamne à payer 611 414 $ pour les dommages causés à des wagons qu’elle devait transporter. Elle fait valoir que la juge de première instance a eu tort de ne pas donner effet à la clause de limitation de responsabilité prévue dans le contrat de transport qui limitait sa responsabilité à 0$.  

La Cour d'appel doit donc déterminer si la Loi permet à l'Appelante d'exclure complètement sa responsabilité. Au nom d'une formation unanime, l'Honorable juge Marie-Josée Hogue répond par la négative à cette question. Elle ajoute qu'en l'absence d'une autorisation législative expresse, il serait contraire au droit des obligations de permettre à une partie contractuelle de se dégager complètement de toute responsabilité pour sa prestation contractuelle principale:
[42] L’obligation principale du transporteur est de transporter les biens d’un point à un autre et de prendre les moyens pour qu’ils arrivent à destination intacts. Lui permettre de se dégager d’avance de toute responsabilité dans l’éventualité où, par sa faute, il n’y réussit pas, ferait de son obligation principale une obligation purement potestative et dénaturerait le contrat de transport. 
[43] Sans décider s’il serait possible pour le législateur de permettre expressément aux transporteurs de le faire, j’estime qu’on ne peut, en l’absence d’un texte clair à cet effet, présumer que telle était son intention.  
[44] L’article 126(1)e) de la Loi doit donc être interprété, selon moi, comme permettant aux transporteurs de liquider les dommages éventuels que pourra réclamer l’expéditeur en cas d’inexécution fautive du transporteur, mais ne lui permet pas d’exclure sa responsabilité totalement. 
[45] L’argument que fait valoir CN voulant que cela entraîne une incongruité juridique en ce qu’il vient interdire une limitation à zéro dollar tout en autorisant une limitation à un dollar est spécieux. Une limitation à un dollar, dans le contexte de la présente affaire, équivaudrait certainement à une exclusion de responsabilité. Ce n’est pas parce qu’un transporteur aura stipulé qu’il encourra une toute petite responsabilité qu’il pourra toujours soutenir, avec succès, qu’il s’agit là d’une clause limitative de responsabilité et non pas d’une clause d’exclusion de responsabilité. J’estime qu’en cette matière tout est affaire de circonstances et de proportions que le juge du fond aura la tâche d’évaluer.  
[46] Une clause fixant la responsabilité potentielle à un montant dérisoire pourra tout autant être qualifiée de clause d’exclusion de responsabilité si la responsabilité potentielle qu’elle vise à exclure est par ailleurs significative. La véritable question à se poser, à mon avis, est celle de savoir si la limite porte atteinte à l’essence même du contrat. Si elle le fait, elle sera nulle en l’absence d’une habilitation législative expresse.
Référence : [2019] ABD 333

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