mardi 3 janvier 2017

Les enseignements de la Cour suprême sur le rectification de contrats en cas d'erreur matérielle

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

En février 2013, nous avions attiré votre attention sur une décision de la Cour supérieure qui indiquait que la Cour a le pouvoir de corriger une erreur matérielle dans un contrat, mais pas de réécrire celui-ci pour permettre aux parties d'atteindre un objectif juridique. Or quelques mois plus tard - en novembre 2013 - la Cour suprême rendait une décision sur la question et j'avais négligé de faire le suivi. Je corrige cette omission ce matin en traitant de l'affaire Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc. ([2013] 3 RCS 838). 



Les faits des deux affaires réunies sont relativement simples.

Des actionnaires de sociétés commerciales ont effectué des transactions pour procéder à la restructuration de ces sociétés sans incidences fiscales. En raison d'erreurs commises par leurs conseillers fiscaux, les autorités fiscales ont émis des avis de cotisation réclamant des impôts imprévus par les contribuables. 

Dans l’affaire AES, les parties ont convenu de corriger l’erreur en modifiant les documents qui constataient et exécutaient leur entente au lieu de demander l’annulation du contrat, puis se sont adressées à la Cour supérieure au moyen d’une requête en rectification. 

Dans l’affaire Riopel, les parties ont interverti l’ordre de la fusion des sociétés commerciales et de la cession d’actions. Comme cette erreur empêchait le report des impôts, ils ont tenté de la corriger en modifiant les actes originaux et en les faisant signer par leurs clients, sans leur expliquer la nature des changements effectués.  Après l’établissement des avis de cotisation par le fisc et la découverte des erreurs commises dans la rédaction des écrits relatifs à la transaction, les parties ont convenu de donner effet à leur entente originale, en modifiant les actes défectueux.

La Cour supérieure a accordé la demande de rectification dans l’affaire AES mais l’a refusée dans l’affaire Riopel. La Cour d’appel du Québec a fait droit dans les deux cas aux demandes de rectification (AES et Riopel), concluant que l’art. 1425 C.c.Q. permettait de corriger l’écart entre l’intention commune des parties et l’intention déclarée dans les actes, car les demandes étaient légitimes et la correction ne portait pas atteinte aux droits des tiers.

Au nom d'une Cour unanime, l'Honorable juge Lebel rejette les deux pourvois.

Il insiste d'abord sur l'importance du consensualisme en droit contractuel québécois et rappelle que le contrat écrit entre les parties n'est que l'expression de la volonté commune des parties:
[32] Par ailleurs, comme je l’ai rappelé précédemment, le principe du consensualisme gouverne la formation du contrat. Celle-ci n’exige pas en principe un signe ou support matériel. En droit civil québécois, le contrat se forme par la rencontre des volontés des parties, comme le confirme l’art. 1385 C.c.Q. En principe, la formation du contrat ne dépend pas de l’adoption d’une forme particulière. Certes, la loi exige souvent l’écrit pour donner effet à l’entente, par exemple en imposant la forme authentique et le recours à l’acte notarié, comme dans le cas des contrats de mariage. Dans d’autres cas, particulièrement celui de catégories de contrats fortement réglementés, comme en droit de la consommation, il faudra recourir à l’écrit et respecter des exigences de forme détaillées. Cependant, le principe demeure. Le contrat se distingue de son support matériel. Le droit des obligations du Québec maintient la distinction entre le « negotium » et l’« instrumentum », pour reprendre la terminologie utilisée par la Cour d’appel dans les affaires qui nous occupent, c’est-à-dire entre la volonté commune et la volonté déclarée. L’accord se trouve dans la volonté commune, malgré l’importance — entre les parties et à l’égard des tiers — de la déclaration, orale ou écrite, de cette volonté.
Constatant que les contrats écrits ne reflétaient pas véritablement l'intention commune des parties, le juge Lebel en arrive à la conclusion que la rectification était permise pour s'assurer que le support écrit illustrait bien l'entente intervenue:
[51] Les tribunaux pouvaient intervenir pour constater la légitimité et la nécessité des modifications apportées par les parties aux actes en litige. Le droit substantiel justifiait leur intervention. La procédure civile québécoise n’y faisait pas obstacle. Le débat relevait du domaine du contradictoire. Les agences du revenu avaient été appelées en cause, comme elles devaient l’être, selon l’art. 5 C.p.c. et les règles fondamentales de la procédure civile. Vu l’existence d’un conflit réel sur la nature de l’intention commune des parties, la Cour supérieure pouvait être saisie du litige. La requête en rectification était la voie normale pour l’en saisir. Elle permettait à la Cour supérieure d’intervenir, à des fins d’abord et avant tout déclaratoires. Ce que l’on a maintes fois qualifié de rectification au cours des débats correspondait essentiellement à la constatation des modifications faites par les parties et à la reconnaissance de leur légitimité et de leur nécessité. 
[52] Le fondement de cette intervention se trouvait en définitive dans les règles fondamentales du droit des contrats, lequel repose sur le principe du consensualisme et retient la distinction fondamentale entre l’échange des consentements et son expression écrite. Le droit de la preuve civile du Québec conforte cette distinction entre volonté interne — ou intention véritable — et volonté déclarée. Par exemple, si ce droit accorde une force particulière à la valeur probante de l’acte authentique, il admet néanmoins l’existence d’une procédure, l’inscription de faux, qui permet de l’attaquer. Par cette procédure, le tribunal peut rectifier un acte dans lequel l’officier public chargé de sa réception, par exemple le notaire, aurait inséré des déclarations erronées. On reconnaît maintenant qu’un tribunal peut corriger un tel acte pour le rendre conforme à la volonté des parties (P.-Y. Marquis, « L’inscription de faux et la correction des actes notariés » (1990), 92 R. du N. 407, p. 426). L’acte sous seing privé constitue lui aussi une forme d’expression de la volonté commune. S’il est entaché d’erreur, notamment une erreur imputable comme ici au conseiller professionnel du contribuable, une fois cette erreur établie conformément aux règles de la preuve civile, le tribunal doit la constater et faire en sorte qu’on y remédie. En droit civil, le fisc ne possède pas de droit acquis au bénéfice d’une erreur que les parties à un contrat auraient commise, puis corrigée de consentement mutuel. 
[53] L’ensemble des écrits préparés pour réaliser les planifications fiscales dont ont convenu les parties représentait une expression erronée de leur volonté commune. Les arrêts dont appel ont reconnu la possibilité de remédier à ces erreurs et ont correctement dégagé la volonté commune des parties. Je n’interviendrais pas à leur égard.
Le juge Lebel termine cependant avec une mise en garde. Le pouvoir de rectification ne permet pas à des parties de changer rétroactivement leur contrat lorsque l'objectif - i.e. l'impact fiscal minimal - n'est pas atteint, mais bien seulement lorsque le contrat écrit ne reflétait pas les termes convenus:
[54] Toutefois, la reconnaissance judiciaire de la validité des modifications apportées en l’espèce par les parties aux écrits constatant leurs ententes doit s’accompagner de certaines réserves et d’une invitation à la prudence. En effet, les contribuables ne devraient pas interpréter cette reconnaissance de la primauté de la volonté interne — ou intention commune — des parties comme une invitation à se lancer dans des planifications fiscales audacieuses, en se disant qu’il leur sera toujours possible de refaire leurs contrats rétroactivement en cas d’échec de ces planifications. L’intention d’un contribuable de réduire ses obligations fiscales ne saurait à elle seule constituer l’objet de l’obligation au sens de l’art. 1373 C.c.Q., compte tenu de son caractère insuffisamment déterminé ou déterminable, ni même l’objet du contrat au sens de l’art. 1412 C.c.Q. En l’absence d’un objet plus précis et mieux défini, aucun contrat ne se serait formé. L’article 1425 ne pourrait dans un tel cas être invoqué pour justifier la recherche de l’intention commune des parties afin de lui donner effet, malgré les termes des écrits préparés pour la constater. Comme je l’ai souligné plus haut, dans les deux appels, les ententes entre les parties s’étaient valablement formées, puisqu’elles prévoyaient des obligations aux objets suffisamment déterminables, selon une preuve que l’ARQ n’a jamais contredite. Ces ententes prévoyaient, pour les sociétés concernées, la mise en place de structures déterminées qui, si elles avaient été élaborées correctement, auraient permis de réaliser les objectifs visés par les parties impliquées. Les modifications apportées par la suite ne changeaient pas la nature de la structure envisagée au départ. Elles se bornaient à modifier les écrits qui étaient censés donner effet à l’intention commune — intention clairement établie et portant sur des obligations aux objets déterminés ou déterminables.
Référence : [2017] ABD 3

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