Renno Vathilakis Inc.
Sous l'ancien Code de procédure civile, la jurisprudence sur la question était claire: les jugements interlocutoires préalables à l'autorisation n'étaient pas susceptibles d'appel. L'avènement du nouveau Code et la règle permettant maintenant d'en appeler sur permission du jugement qui autorise l'action collective ont-ils changé la donne? Pas selon la décision rendue par l'Honorable juge Marie St-Pierre dans Valeant Pharmaceuticals International Inc. c. Catucci (2016 QCCA 1349).
Dans cette affaire, les Requérantes recherchent la permission d'en appeler d'une décision rendue préalablement à l'audition de la demande d'autorisation et rejetant les mesures de gestion et d'ordonnance de sauvegarde demandées par les Requérantes.
Cela amène la juge St-Pierre à devoir trancher la question de savoir s'il est possible d'obtenir la permission d'en appeler à l'encontre d'un jugement interlocutoire précédant l'autorisation.
Elle en vient à la conclusion que le droit n'a pas changé sur la question, i.e. qu'à moins de circonstances exceptionnelles, une telle permission ne peut être accordée:
[24] Sous l’ancien Code de procédure civile (RLRQ, c. C-25), selon la jurisprudence constante de la Cour et de ses juges, les jugements rendus dans le cours des procédures en autorisation d’une action collective n’étaient pas susceptibles d’appel, sauf en de très rares situations.
[25] Dans Ridley inc. c. Bernèche (2006 QCCA 984 (CanLII)), la juge Bich le relate en ces termes :
[8] Notre Cour a en effet plusieurs fois affirmé que les jugements rendus dans le cours des procédures en autorisation d’un recours collectif ne peuvent faire l’objet d’un appel. Ainsi, dans Ste-Anne-de-Beaupré (Ville de) c. Hamel, le juge Pelletier écrit que :
[4] Les décisions rendues dans le cours du processus qui conduit au refus ou à l'octroi de l'autorisation d'exercer un recours collectif ne sont pas susceptibles d'appel. Voilà un postulat bien établi par la jurisprudence de notre Cour [Thompson c. Masson 1992 CanLII 3662 (QC CA), [1993] R.J.Q. 69 (C.A.); Les Tours Mirabelle et Cubana Airline c. Arsenault J.E. 93-1866 (C.A.); Dumas c. Mutelle des fonctionnaires du Québec, J.E. 2002-543 (C.A.).]. La Ville le remet en question en avançant que les modifications apportées à l'article 1002 C.p.c. le 1er janvier 2003 ont transformé ce processus.
[5] Dorénavant, la requête ne peut être contestée qu'oralement, mais le juge à qui elle est présentée peut permettre la présentation d'une preuve appropriée. Dans le cas à l’étude, en exerçant de façon non judiciaire son pouvoir, par ailleurs discrétionnaire, de refuser la présentation d'une preuve, la juge aurait nié à la Ville ses droits fondamentaux à l’audition et à la présentation d’une défense pleine et entière.
[6] Toujours de l'avis de la Ville, l'importance des principes en cause et l'intérêt des questions soulevées justifieraient l'octroi de la permission de faire appel.
[7] En tout respect, je ne suis pas d'accord.
[8] Les modifications apportées à l'article 1002 C.p.c. n'ont pas changé fondamentalement le processus particulier qui préside à l'octroi ou au refus de l'autorisation d'exercer un recours collectif. Le législateur a simplement allégé la marche à suivre en ne donnant plus ouverture aux interrogatoires sur affidavit et aux contestations écrites à ce stade préliminaire.
[9] De plus, malgré les recommandations en sens contraire du comité de révision de la procédure civile [renvoi omis], le législateur n’a pas modifié la règle asymétrique restreignant le droit d'appel aux seules décisions qui refusent la permission d'exercer le recours collectif. Le raisonnement développé par le juge Beauregard dans Arsenault [Les Tours Mirabelle et Cubana Airline c. Arsenault J.E. 93-1866 (C.A.)] conserve toute sa pertinence :
Si le législateur a spécialement prévu que le jugement qui autorise l'exercice d'un recours collectif ne peut pas faire l'objet d'un appel, il est évident que tout jugement interlocutoire qui est rendu à l'encontre des prétentions de celui qui s'oppose à la requête pour l'exercice d'un recours collectif n'est pas non plus susceptible d'appel.
[10] À mon avis, malgré les modifications mineures apportées aux dispositions qui la concernent, la requête en autorisation constitue toujours, pour paraphraser les propos du juge LeBel dans Thompson c. Masson [1992 CanLII 3662 (QC CA), [1993] R.J.Q. 69 (C.A.)], « un mécanisme de filtrage et de vérification ». L’article 29 C.p.c. est inapplicable aux décisions qui précèdent celle qui octroie ou refuse l’autorisation parce qu’il ne s’agit pas de jugements interlocutoires, le recours collectif n’étant pas encore institué [Dumas c. Mutelle des fonctionnaires du Québec, J.E. 2002-543 (C.A.)]. Elles ne sont donc pas susceptibles d’appel.
[Je souligne.]
[9] Dans Toyota Canada inc. c. Harmegnies, le juge Baudouin explique que :
[5] Je suis d'avis que la permission d'appeler doit être refusée pour les deux raisons suivantes.
[6] La première est qu'il s'agit là d'un jugement qui n'est pas susceptible d'appel. Notre Cour en a décidé ainsi plusieurs fois dans Thompson c. Masson, 1992 CanLII 3662 (QC CA), [1993] R.J.Q. 69; Tours Mirabelle c. Arsenault, J.E. 93-1866; Dumas c. Mutuelle des fonctionnaires du Québec, J.E. 2002-543.
[7] Encore récemment, mon collègue, M. le juge François Pelletier, confirmait cette règle dans Ville de Ste-Anne de Beaupré c. Hamel, C.A.Q. no 200-09-004533- 037 du 2 septembre 2003.
[8] L'article 1010 C.p.c. prévoyant que le jugement autorisant l'exercice d'un recours collectif n'est pas susceptible d'appel, il serait étrange, pour ne pas dire totalement incongru, qu'un jugement interlocutoire à l'encontre des prétentions de celui qui s'oppose à cette autorisation le fut.
On notera que ce jugement a fait l'objet d'une requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada, requête qui a été rejetée (dossier 30269, 30 septembre 2004).
[10] Dans Québec (Procureur général) c. Noranda inc., le juge Pelletier écrit encore que :
[6] Cela dit, il est maintenant établi que les jugements prononcés entre le dépôt d'une requête en autorisation de recours collectif et le jugement qui en dispose ne sont pas susceptibles d'appel [Dumas c. Mutuelle des fonctionnaires du Québec (7 mars 2002), Montréal 500-09-011734-019, J.E. 2002-543 (C.A.); Compagnie d'assurance Missisquoi c. Option consommateurs (30 juillet 2002), Montréal 500-09- 012385-027, J.E. 2002-1497 (C.A.); Ste-Anne-de-Beaupré (Ville) c. Hamel (2 septembre 2003), Québec 200-09-004533-037, J.E. 2003-1777 (C.A.); Toyota Canada inc. c. Harmegnies (24 mars 2004), Montréal 500-09-014306-047, J.E. 2004-793 (C.A.).]. De tels jugements ne répondent pas à la qualification d'interlocutoires, entendue au sens de l'article 29 C.p.c., parce que la véritable instance, celle du recours collectif, n'existe pas encore [Dumas c. Mutuelle des fonctionnaires du Québec, précité; Ste-Anne-de-Beaupré (Ville) c. Hamel, précité]. Le jugement d’autorisation obéit à des règles particulières parce que le législateur lui a attribué un rôle relativement modeste dans le processus d’exercice du recours collectif. De fait, il ne sert qu’à filtrer les demandes qui ne satisferaient manifestement pas les exigences de l’article 1003 C.p.c.
[7] J’ajouterai qu’en l’espèce, s’il fallait par analogie se référer aux critères de l'article 29 C.p.c., le jugement attaqué ne passerait pas le test.
[11] Par contre, on trouve aussi dans la jurisprudence de la Cour quelques cas où fut accordée la permission d'appeler d'un jugement rendu dans le cours de cette instance préliminaire qu'est la procédure d'autorisation du recours collectif. […]
[…]
[16] Dans l'arrêt statuant sur le fond de ce pourvoi [Pharmascience inc. c. Option Consommateurs, 2005 QCCA 437 (CanLII), [2005] R.J.Q. 1367 (C.A.)], la Cour fait le point sur la question :
[24] Dans son opinion à l'appui de l'arrêt Thompson c. Masson [1992 CanLII 3662 (QC CA), [1993] R.J.Q. 69], le juge LeBel (alors à notre Cour) définissait la demande de permission d'exercice du recours collectif comme « un mécanisme de filtrage et de vérification » [Ibid., p. 72] et qualifiait la décision judiciaire qui en découle de jugement « de vérification et de contrôle » [Idem] qui, si elle est favorable, « permettra la formation et l'exercice du recours » selon les règles usuelles (art. 1011 C.p.c.). « Avant que ce jugement ne soit rendu, écrit encore le juge LeBel, le recours n'existe pas, du moins sur une base collective » [Idem]. Ces déterminations furent plusieurs fois reprises [renvoi omis]. Elles ont, entre autres, servi de fondement à l'arrêt suivant lequel, sauf circonstances exceptionnelles ou si on attaque la compétence ratione materiae de la Cour supérieure, toutes les mesures ou demandes préliminaires ou incidentes doivent être plaidées et décidées à l'occasion de l'audition de la requête en autorisation [Société Asbestos Limitée c. Lacroix, [2004] J.Q. no 9410 (C.A.).]. De même, la Cour a pris appui sur l'affaire Thompson lorsqu'elle a statué que l'absence de droit d'appel s'étendait aux jugements dits interlocutoires prononcés avant celui qui autorise l'exercice du recours [Dumas c. Mutuelle des fonctionnaires du Québec (MFQ-Vie) et la Capitale, [2002] J.Q. 692 (C.A.); voir aussi Les Tours Mirabelle inc. et Cubana Airline c. Arsenault, (18 octobre 1993), Montréal, 500-09-001756-931, (C.A.), Ville de Sainte-Anne-de-Beaupré c. Hamel, [2003] J.Q. 11308 et Toyota Canada inc. c. Harmegnies, [2004] J.Q. 2901.], sauf, ici aussi, circonstances exceptionnelles [Hotte c. Servier Canada inc., [1999] R.J.Q. 2598. Dans cette affaire, plusieurs personnes s'étaient portées requérantes de façon concomitante et soulevaient le même débat.].
[Je souligne.]
[17] La règle que l'on peut tirer de ces arrêts est, en définitive, celle qu'exprime la Cour dans Pharmascience, ci-dessus : sauf exception, ne sont pas susceptibles d'appel les jugements rendus avant le jugement statuant sur la demande d'autorisation d'exercer le recours collectif.
[18] Le principe est clair. Quels sont les contours de l'exception?
[19] Les circonstances justifiant de déroger au principe sont fort rares, comme on le constate à la lecture de la jurisprudence.
[…]
[25] On constate donc que les circonstances dans lesquelles on peut passer outre au principe de l'interdit d'appel des jugements rendus dans le cours des procédures d'autorisation d'exercer un recours collectif, jugements en quelque sorte interlocutoires, sont extrêmement restreintes en nombre et en nature. Cela est parfaitement compréhensible puisqu'une interprétation trop généreuse de l'exception risquerait de miner le principe et de neutraliser ainsi l'intention du législateur, qui a voulu faire de l'« instance » d'autorisation un mécanisme de filtrage relativement léger et rapide sur le plan procédural. La procédure d'autorisation est en elle-même une instance préliminaire et le législateur n'a certainement pas voulu que des débats en quelque sorte « pré-préliminaires » viennent alourdir le processus et devancer le débat sur des questions qui, de toute façon, devraient être discutées au stade de l'autorisation.
[Références omises, soulignement de la juge Bich]
Au même effet, voir également : Toyota Canada inc. c. Harmegnies, 2006 QCCA 1129 (CanLII), 2006 QCCA 1129 (juge unique); Allstate du Canada, compagnie d'assurances c. Agostino, 2011 QCCA 1817 (CanLII), 2011 QCCA 1817 (juge unique), Sarrazin c. Québec (Procureur général), 2013 QCCA 374 (CanLII) (arrêt de la Cour) et Arsenault c. Robillard, 2015 QCCA 1651 (CanLII), 2015 QCCA 1651 (juge unique).
[26] À mon avis, l’entrée en vigueur en janvier 2016 du nouveau Code de procédure civile (RLRQ, c. C-25.01) n’a pas changé l’état du droit sur la question, malgré que le législateur ait dorénavant permis l’appel du jugement qui autorise l’action collective, mais sur permission seulement (art. 578 C.p.c.).
[27] À cet égard, je partage le point de vue exprimé par Me Yves Lauzon voulant que « [l]a décision du législateur de ne pas retourner à la case départ en restaurant l’appel de plein droit en cas d’autorisation de la demande témoigne de son intention de limiter au maximum l’impact de cette modification législative sur les réformes de 1982 et de 2002 et leurs effets sur le bon déroulement de l’instance» (Le Grand Collectif, sous la direction de Luc Chamberland, vol. 2, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2016, p. 2310).
[28] D’ailleurs, le contenu des commentaires de la ministre de la Justice au sujet de l’article 578 C.p.c. (Le Grand Collectif, sous la direction de Me Luc Chamberland, vol. 2, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2016, p. 2309) milite en faveur d’une telle interprétation.
Cet article modifie le droit antérieur. Celui-ci ne permettait pas l’appel du jugement autorisant l’action mais permettait l’appel de celui la refusant. Cette règle antérieure avait pour but de favoriser la célérité dans l’exercice de l’action collective et d’éviter les appels dilatoires. Ce faisant, l’asymétrie de la règle entrainait un certain déséquilibre de droit entre les parties. Afin de rééquilibrer ce droit tout en maintenant un certain contrôle sur l’appel, celui-ci ne sera possible que sur permission d’un juge d’appel. L’appel portant sur l’autorisation de devrait porter que sur les conditions pour l’accorder. Le refus d’accorder l’autorisation demeure, pour le demandeur, sujet à appel de plein droit.
[Soulignement ajouté]
Référence : [2016] ABD 346[29] Que le législateur ait choisi de rééquilibrer la situation entre demandeurs et défendeurs quant à l’autorisation n’emporte pas, à mon avis, la remise en question du principe général (sauf de très rares exceptions) selon lequel les jugements qui précèdent l’autorisation ne sont pas susceptibles d’appel.
[30] Comme le soutient Me Yves Lauzon dans Le Grand Collectif, aux pages 2310 à 2312, « [l]’objet de ce nouveau droit (appel sur permission seulement) est clairement limité au jugement d’autorisation », de sorte que ce n’est que « dans le cadre d’un appel autorisé que de tels jugements pourraient éventuellement être remis en question dans la mesure permise par les motifs d’appel » : « l’objectif du législateur d’accélérer le déroulement de l’instance des actions collectives qui satisfont aux critères d’autorisation jugés peu élevés par la Cour suprême ne devrait pas être contrecarré par ce nouveau droit d’appel ».
[31] Malgré les louables efforts déployés par les avocats de Valeant et de PwC pour me convaincre du contraire, j’estime devoir appliquer, ici, le principe général, plutôt que de reconnaître un cas d’exception.
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