mardi 19 avril 2016

Seul l'architecte membre de l'ordre québécois peut inscrire une hypothèque légale de la construction

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous avons déjà traité du fait que l'architecte - dans la mesure où ses plans sont utilisés - peut enregistrer une hypothèque légale de la construction. Dans Urbacon Architecture inc. c. Urbacon Buildings Group Corp. (2016 QCCA 620), la Cour d'appel traite de la question très intéressant de savoir si un architecte qui n'est pas membre de l'ordre québécois, mais plutôt celui de l'Ontario, peut inscrire une hypothèque légale de la construction. La Cour répond par la négative à cette question.



Dans cette affaire, l'Appelante se pourvoit à l'encontre d'un jugement de première instance qui a accueilli en partie une requête de l'Intimée en radiation d'une hypothèque légale de la construction.

Une formation de la Cour d'appel composée des Honorables juges Doyon, Kasirer et Savard doit répondre à la question de savoir si la créance d’une firme d’architectes, n’employant aucun architecte membre de l’Ordre des architectes du Québec mais étant dûment autorisée à exercer cette profession en Ontario, peut donner lieu à une hypothèque légale de la construction en vertu de l’article 2726 C.c.Q.

Au nom d'une formation unanime, l'Honorable juge Manon Savard en vient à la conclusion que la réponse négative du juge de première instance doit être confirmée. En effet, son analyse l'amène à conclure que seul l'architecte membre de l'ordre québécois peuvent inscrire une hypothèque légale de la construction:
[27]        Dès lors, si seule une personne inscrite au tableau de l’Ordre peut exercer la profession d’architecte au Québec ou agir à ce titre, il me semble qu’elle seule peut accomplir, selon les termes utilisés par Architecture, des « […] travaux d’architecture aux fins de la construction d’un immeuble […] » susceptibles d’y apporter une plus‑value pertinente aux fins de l’article 2726 C.c.Q. Elle seule peut donc prétendre se qualifier en tant qu’« architecte » et ainsi bénéficier de l’avantage exceptionnel conféré par cette disposition. La doctrine est d’ailleurs unanime pour proposer une telle interprétation. 
[28]        En limitant ainsi la notion d’architecte aux fins de l’article 2726 C.c.Q., je ne fais pas abstraction de l’interprétation donnée à cette expression que l’on retrouve à l’article 1668 du Code civil du Bas Canada, aujourd’hui l’article 2118 C.c.Q., dans Réfrigération Jules Bienvenue inc. c. St-Laurent Jobin inc.. Dans ce dernier arrêt, la Cour retient qu’une personne qui se comporte comme architecte et agit illégalement à ce titre est assujettie à la responsabilité quinquennale de l’architecte. Elle retient les propos de la professeur Rousseau-Houle voulant que « [l]es architectes […] sont soumis à la responsabilité quinquennale non en raison de leur profession, mais en raison de leur activité ». 
[29]        Ces deux interprétations se réconcilient si l’on tient compte de l’objectif de chacune de ces dispositions. L’article 2118 C.c.Q. relatif à la responsabilité quinquennale vise à protéger le client pour les gestes posés par l’architecte, légalement ou illégalement. L’article 2726 C.c.Q., quant à lui, confère un avantage à l’architecte au détriment des autres créanciers. Un tel avantage ne peut être conféré à une personne qui ne respecte pas la loi, a fortiori lorsqu’elle est d’ordre public. L’intention du législateur telle que traduite dans ces dispositions requiert une application différente au terme architecte. 
[30]        J’estime tout aussi mal fondée la prétention d’Architecture voulant qu’elle puisse se qualifier aux fins de l’article 2726 C.c.Q. au motif qu’elle n’a posé aucun acte réservé aux termes de la Loi. Il est vrai, comme elle le souligne, qu’un architecte peut exercer diverses fonctions liées à la construction ou à la rénovation d’un immeuble qui vont au-delà des seuls actes réservés énoncés à l’article 16. La Loi circonscrit leurs champs de pratique exclusifs, mais ne limite pas leurs pouvoirs. À titre d’exemple, l’article 2118 C.c.Q. prévoit que l’architecte peut diriger et surveiller les travaux de construction, alors qu’une telle activité ne relève pas de son champ de pratique exclusif. De même, l’article 2 du Règlement sur la souscription obligatoire au Fonds d’assurance responsabilité professionnelle de l’Ordre des architectes du Québec énumère une série de gestes pouvant être posés par l’architecte qui vont au delà des actes circonscrits à l’article 16 de la Loi. 
[31]        Toutefois, selon moi, un tel constat ne modifie pas pour autant la portée du terme « architecte » aux fins de l’article 2726 C.c.Q. C’est une chose que de poser des gestes qui peuvent autrement être effectués par un architecte sans pour autant contrevenir à la Loi; il en est cependant une autre de prétendre bénéficier de la prérogative que constitue l’hypothèque légale de la construction accordée à l’architecte, sans pour autant avoir le droit d’agir à ce titre vu les dispositions à caractère d’ordre public de la Loi. 
[32]        Il est également intéressant de noter que, selon l’article 50 de la Loi sur le bâtiment, le propriétaire d’un immeuble grevé d’une hypothèque légale de la construction inscrite par un entrepreneur peut demander la radiation de cette inscription si ce dernier n’est pas titulaire de la licence requise en vertu de cette loi. On comprend des débats parlementaires que le législateur tente, par cette disposition, de trouver une solution à la situation soulevée par l’arrêt Girard c. Verronneau, sans pour autant déclarer la Loi sur le bâtiment d’ordre public. Dans cette affaire, la Cour refuse la radiation de l’enregistrement d’un privilège de construction effectué par un entrepreneur non titulaire de la licence exigée à cette fin par la Loi sur la qualification professionnelle des entrepreneurs de construction, alors en vigueur (L.Q. 1975, c. 53). La Cour conclut que cette dernière n’est pas une loi d’ordre public dont la violation entraînerait la nullité absolue du contrat. L’interprétation du terme « architecte » que je propose, qui repose notamment sur le caractère d’ordre public de la Loi, me semble réconciliable avec les exigences imposées par le législateur à l’entrepreneur dans le contexte d’une loi ne revêtant pas un tel caractère.
Référence : [2016] ABD 155

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