jeudi 28 avril 2016

Le fardeau est lourd pour la partie qui invoque ses règles de régie interne (indoor management)

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous avons déjà traité de la régie interne d'une compagnie (indoor management) et de la nécessité pour une personne morale de faire la preuve de la connaissance desdites règles par un tiers pour pouvoir lui opposer. L'Honorable juge Suzanne Courchesne - dans l'affaire 9048-4585 Québec inc. c. Clinique médicale du Quartier Latin inc. (2016 QCCS 1898) - rappelle à quel point le fardeau est élevé pour la personne morale qui veut invoquer un manquement à ses règles de régie interne pour faire valoir qu'elle n'a pas donné un consentement valide.



Dans cette affaire, la Demanderesse intente une action en passation de bail à l'encontre de la Défenderesse. Elle allègue qu'une entente est intervenue entre les parties quant aux aspects essentiels d’un nouveau bail de location.

La Défenderesse nie qu’une entente soit intervenue entre les parties. Elle ajoute que tout décision concernant le bail devait être prise à l’unanimité par les membres du conseil d’administration de la clinique, lesquels n’ont pas donné leur accord aux propositions de la pharmacie, de sorte qu'aucun bail valide ne pouvait intervenir.

Après analyse de la preuve, la juge Courchesne en vient à la conclusion que le recours de la Demanderesse doit être rejeté puisque les parties n'avaient pas conclu une entente sur tous les éléments essentiels du contrat de bail.

La juge Courchesne souligne cependant que l'argument de la Défenderesse quant à sa régie interne était mal fondé. En effet, une tierce partie est en droit de présumer que les administrateurs d'une personne morale ont le pouvoir de lier celle-ci. Elle va même jusqu'à ajouter que même si la Demanderesse avait connu les règles de régie interne de la Défenderesse, la Demanderesse avait le droit de présumer que les administrateurs envoyés pour négocier avec elle étaient autorisés pour le faire à moins d'indication contraire expresse:
[48]      La clinique soutient que leur locataire, en raison de leurs relations commerciales et professionnelles, connaissait ou devait connaître le mode de fonctionnement de la société selon lequel toute décision portant sur le bail devait être préalablement approuvée à l’unanimité par ses cinq administrateurs. Elle invoque notamment ce qu’elle considère constituer une admission de la part de la pharmacie à cet égard, telle qu’énoncée à sa requête introductive d’instance: 
4. La défenderesse est contrôlée par les médecins, lesquels exploitent une clinique médicale située dans l’Immeuble abritant les Lieux Loués. 
[49]      Mme Desroches nie avoir été informée de cette règle de régie interne et plaide qu’au contraire, les intermédiaires désignés par la clinique pour négocier les termes du bail lui laissaient croire qu’ils détenaient tous les pouvoirs requis pour convenir d’un accord à cet égard. 
[50]      Les limites au mandat d’un dirigeant prévues par résolution ou par règlement peuvent difficilement être invoquées par la société pour contester le mandat implicite de ce dirigeant, à moins que la société n’ait pris des mesures pour en informer son cocontractant. Par ailleurs, une personne qui savait ou devait avoir connaissance du vice de régie interne en raison, notamment, de ses relations avec la société, ne peut invoquer cette irrégularité. 
[51]      La règle de régie interne de la clinique est inopposable à la pharmacie dans les circonstances dévoilées par la preuve. 
[52]      La clinique ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer qu’à quelque moment que ce soit, Mme Desroches a été avisée, verbalement ou par écrit, de la règle de régie interne invoquée. De plus, bien que Mme Desroches savait que la clinique était dirigée par les médecins et que certaines correspondances aient été adressées par elle aux cinq médecins en lien avec le bail, de tels faits ne démontrent pas qu’elle connaissait le processus interne de la clinique requérant l’approbation des cinq administrateurs pour la conclusion d’une entente sur les clauses d’un nouveau bail.  
[53]      Par ailleurs, même si cette exigence lui était connue, elle pouvait légitimement croire, le 11 décembre 2013, que les deux administrateurs de la clinique présents à la rencontre s’étaient vu conférer l’autorité nécessaire afin de négocier et convenir des termes du nouveau bail. Même si les représentants de la clinique savaient qu’ils ne pouvaient lier la clinique sans l’accord des autres administrateurs, aucun d’entre eux n’en a, même informellement, avisé Mme Desroches à quelque moment que ce soit, avant, pendant ou après la rencontre.
Référence : [2016] ABD 170

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