vendredi 1 janvier 2016

Dans le cadre d'un recours collectif, le juge de première instance a la discrétion pour permettre à la partie demanderesse de tenir un interrogatoire préalable avant défense

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Bien que le nouveau Code de procédure civile élimine la distinction élimine la distinction rigide entre les interrogatoires avant et après défense, reste que la décision récente de la Cour d'appel dans Canada (Procureure générale) c. Thouin (2015 QCCA 2159) demeure d'un certain intérêt. En effet, il est fort à parier que les parties défenderesses continueront à faire valoir qu'à défaut d'entente à l'effet contraire la partie demanderesse ne devrait pas pouvoir procéder à un interrogatoire préalable avant que la défense soit déposée. Or, dans l'affaire qui nous intéresse rendue dans le contexte d'un recours collectif, la Cour d'appel indique que le juge de première instance avait la discrétion d'autoriser la partie demanderesse à interroger avant défense.



La présente décision est rendue dans le cadre d'un recours collectif qui vise les pétrolières, distributeurs et détaillants impliqués dans un supposé complot pour fixer les prix de l'essence qui a eu cours dans les régions de Thetford Mines, Victoriaville, Sherbrooke et Magog et un second recours visant les pétrolières, distributeurs et détaillants qui auraient présumément comploté afin de fixer le prix de vente de l’essence à la pompe dans 14 autres régions du Québec, mais qui n’ont pas eu à faire face à des plaintes pénales pour les gestes qui leur sont reprochés.

Dans le cadre de ces recours, les Requérants désirent interroger au préalable l'enquêteur-chef du Bureau de la concurrence. Cette demande fait l'objet d'une contestation de la Procureure générale du Canada et de certaines Intimées au motif que l'enquêteur-chef ne peut être contraint de subir un interrogatoire préalable dans une cause où l'État n'est pas partie. Qui plus est, certaines Intimées font valoir que les Requérants ne peuvent procéder à un interrogatoire préalable avant défense puisque les articles 397 et 398 C.p.c. ne le permettent pas.

Le juge de première instance - l'Honorable juge Bernard Godbout - rejette les objections à cet interrogatoire, d'où le pourvoi devant la Cour d'appel.

Pour les fins de notre billet, seule la deuxième question nous intéresse (nous reviendrons à la première cet après-midi).

Au nom d'une formation unanime, l'Honorable juge Jean-François Émond indique que l'appel doit être rejeté. En effet, il exprime l'opinion que le juge de première instance avait la discrétion d'autoriser un tel interrogatoire s'il était d'avis qu'une saine administration du dossier en découlerait:
[89]        L’appelante Philippe Gosselin & associés inc. et les intimées Les pétrolières Ultramar ltée, Le groupe pétrolier Olco inc. et Les pétroles Irving inc. / Irving Oil Operations LTD. de même que les distributeurs Alimentation Couche-Tard inc., Dépan-Escompte Couche-Tard inc., Couche-Tard inc., et enfin la PGC, bien que cela la concerne moins, font valoir que l’interrogatoire de l’enquêteur-chef ne pouvait être autorisé à cette étape du dossier, les défenses n’étant toujours pas produites. Ils fondent leur position sur les paragraphes 397 (3) et 398 (3) C.p.c. Pour leur part, les intimés Thouin et l’Association plaident que le juge était bien fondé à conclure que l’interrogatoire de l’enquêteur-chef à ce stade-ci était susceptible d’accélérer le recours collectif et que, dans ces circonstances, il était justifié de l’autoriser en se fondant sur l’article 1045 C.p.c., lequel dispose que :  
[...]  
[90]        Je partage le point de vue des intimés Thouin et l’Association. Non seulement l’article 1045 C.p.c. confère-t-il au juge gestionnaire d’un recours collectif de larges pouvoirs dans la gestion de l’instance, mais il lui impose le devoir de le faire, afin de simplifier la preuve au procès. Ce devoir découle également de l’article 4.1 C.p.c., qui prévoit, au second alinéa, que « le tribunal veille au bon déroulement de l’instance et intervient pour en assurer la saine gestion ». Sauf dans les cas où la décision du tribunal comporte une erreur de principe ou porte préjudice aux membres, les mesures prises par le tribunal ne sont pas sujettes à un appel. Ici, le seul préjudice que font valoir les appelants et les pétrolières intimées est un préjudice de droit, à savoir que l’interrogatoire aurait dû attendre le dépôt des défenses. Un tel argument se heurte au droit moderne régissant la procédure. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil au nouveau Code de procédure civile qui entrera en vigueur dans à peine quelques semaines.
Référence : [2016] ABD 1

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