lundi 13 avril 2015

Le groupe proposé pour un recours collectif doit être décrit en termes objectifs

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous avons traité dans le passé du fait que pour obtenir l'autorisation d'intenter un recours collectif, la partie requérante doit établir l'existence d'un groupe. Comme l'indique l'affaire Lambert (Gestion Peggy Lambert) c. Écolait ltée (2015 QCCS 1409), ce groupe doit être décrit en des termes objectifs et les critères se fonder sur une base rationnelle.



Dans cette affaire, la Requérante recherche l’autorisation d’exercer, par voie de recours collectif, une action visant principalement l’annulation de la clause 6 du contrat conclu avec l’Intimée ou la réduction des obligations qui en découlent, et la remise de sommes provenant de subventions gouvernementales. Elle recherche aussi une condamnation pour des dommages punitifs de 10 000 $ pour chaque membre du groupe, pour chaque année d’exploitation.
 
La Requérante souhaite agir à titre de représentante du groupe suivant:
« les personnes physiques, les personnes morales de droit privé, les sociétés ou association (sic), avec 50 employés ou moins, ayant contracté avec Écolait Ltée par une convention identique, signée ou renouvelée après le 1er janvier 2000, et avant la date du jugement à intervenir sur la requête en autorisation, appelée «contrat de fournitures d'aliments, de nourrissons et autres services», et qui en raison de l’utilisation des clauses abusives d’un tel contrat ont subi des pertes.» 
La première question à laquelle doit répondre l'Honorable juge Micheline Perreault est celle de savoir si la Requérante a établi l'existence d'un groupe qu'elle peut représenter.
 
Après analyse de la jurisprudence pertinente, la juge Perreault en vient à une conclusion négative sur la question. En effet, la description du groupe étant présentée en termes subjectifs, elle est d'avis qu'on ne peut conclure à l'existence d'un groupe puisqu'un jugement au fond est nécessaire pour déterminer si une personne fait même partie du groupe décrit: 
[17]      Avant de déterminer si les critères de l’article 1003 C.p.c. sont remplis, les circonstances du présent dossier amènent le Tribunal, au moment d’exercer le mécanisme de filtrage attendu du juge autorisateur à se pencher d’entrée de jeu sur l’existence du groupe. 
[18]      Cette notion de groupe se dégage des critères de 1003 a), b) et c), même si elle n’y est pas expressément libellée.  
[19]      La Cour d’appel dans George c. Québec (Procureur général), a rappelé les conditions auxquelles une description adéquate doit satisfaire : 
« [40] […]  
1. La définition du groupe doit être fondée sur des critères objectifs;  
2. Les critères doivent s’appuyer sur un fondement rationnel;  
3. La définition du groupe ne doit être ni circulaire ni imprécise;  
4. La définition du groupe ne doit pas s’appuyer sur un ou des critères qui dépendent de l’issue du recours collectif au fond.»  
[20]      Or, la définition proposée par la Requérante souffre de plusieurs lacunes. D’abord, elle comporte un caractère circulaire car elle dépend du résultat recherché. En effet, la Requérante demande l’autorisation de représenter les personnes physiques et morales ayant contracté avec Écolait par une convention identique à la sienne «…et qui en raison de l’utilisation des clauses abusives d’un tel contrat ont subi des pertes.». Ainsi, une des conditions préalables à la qualification comme membre du groupe est reliée au fait que la clause 6 du Contrat soit déclarée abusive. La définition proposée fait donc de la réussite du recours une condition préalable d’appartenance au groupe de réclamants.  
[21]      Ensuite, la description du groupe contient des critères purement subjectifs alors que l’appartenance d’une personne au groupe doit être déterminée sur des critères explicites et objectifs. La Cour d’appel dans Harmegnies c. Toyota Canada inc. rappelle la nécessité de démontrer le caractère collectif du dommage : 
« [50] Le professeur Pierre-Claude LAFOND, s'appuyant sur une abondante jurisprudence, écrit ceci :
«Le tribunal responsable de l'audition de la preuve sur le fond invite plutôt le représentant à passer de l'individualité de sa demande à l'établissement de faits communs à l'ensemble des membres du groupe. Pour y arriver, il doit, avec prépondérance, «établir un échantillonnage suffisamment large et précis de faits qui lui sont particuliers et le sont à tel ou tel membre du groupe», extrapoler en quelque sorte sa preuve individuelle et l'élever au rang de preuve du préjudice collectif, de manière à ce que le tribunal, de manière objective (c'est-à-dire générale à l'ensemble des membres du groupe), aidé des présomptions de fait que la loi autorise, puisse ainsi conclure à l'établissement de faits communs.»
[51] L'appelant fait face ici à une grande difficulté lorsqu'il s'agit de démontrer prima facie qu'il existe, du moins pour certains membres du groupe, un préjudice collectif. Les conclusions de la juge de la Cour supérieure sur ce point me paraissent justifiées. Le préjudice subi par certains membres du groupe (si l'on postule qu'une perte a, prima facie, été établie) est susceptible de variations individuelles considérables et d'éléments subjectifs impondérables. En premier lieu, le fait de ne pouvoir négocier l'achat peut constituer un préjudice pour ceux qui aiment le faire, mais au contraire un bénéfice certain pour ceux d'opinion contraire. Est-il cependant possible de chiffrer le dommage résultant de la privation de la possibilité de négocier ? Pour les premiers, il faudrait en outre tenir compte de l'habileté de chacun et de son aptitude à avoir gain de cause dans une négociation, élément essentiellement particularisé. 
[…]
[54] Il est, en effet, essentiel de démontrer le caractère collectif du dommage subi et le recours collectif n'est pas approprié lorsqu'il donnerait naissance, lors de l'audition au fond, à une multitude de petits procès et qu'un aspect important de la contestation engagée ne se prête pas à une détermination collective en raison d'une multiplication de facteurs subjectifs. Dans le présent cas, le juge saisi du fond aurait dû se livrer à un examen détaillé d'une multitude de facteurs individuels et prendre en considération une série de circonstances variées avant de pouvoir, soit déterminer si l'un des membres a subi un préjudice et, le cas échéant, quelle est l'étendue de celui-ci.»
[22]      À ce stade des procédures, il n’est pas possible de conclure que les pertes de la Requérante découlent des termes du Contrat. Seule une enquête au fond permettra de vérifier le bien-fondé de ces allégations. Même s’il faut prendre pour avérées les allégations de la Requête pour autorisation, cela ne démontre pas pour autant que la clause 6 du Contrat est abusive et que les pertes de la Requérante en découlent. Il faut plutôt retenir que la Requérante a subi des pertes dans le cadre de l’élevage des veaux de lait et qu’elle avait également conclu un contrat avec Écolait. Cela n’entraîne pas la conclusion inéluctable que toutes les personnes ayant signé un contrat identique au sien ont subi des pertes ou que ces pertes découlent des termes du Contrat. Il est donc illogique de conclure comme le suggère la Requérante compte tenu des nombreuses variables qui peuvent expliquer les pertes en question. 
[23]      Le Tribunal ne peut donc conclure à l’existence d’un groupe en s’appuyant sur des allégations aussi générales qui ne sont corroborées par aucun fait objectif. Il incombait à la Requérante d’alléguer des faits suffisants pour justifier l’autorisation du recours. Elle ne peut s’en remettre à de simples spéculations ou hypothèses. Les carences de son enquête empêchent de déterminer s’il existe un groupe.
Référence : [2015] ABD 145

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