jeudi 16 avril 2015

La clause de choix de district judiciaire ne lie pas les parties au contrat selon une décision récente

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

L'entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile viendra régler cette question, mais elle se pose toujours pour l'instant: est-ce que la clause de sélection de district est contraignante pour les parties au contrat? En mai 2014, j'attirais votre attention sur les enseignements de la Cour d'appel et le fait que les parties peuvent contractuellement prévoir un lieu de conclusion du contrat qui diffère de celui où le contrat a effectivement été conclu. Cependant, cela ne règle pas la question de savoir si une telle clause impose un district spécifique pour le litige. Dans  Texan Grill & Bar inc. c. Immeubles Yale ltée (2015 QCCS 1412), l'Honorable juge Martin Bureau s'est penché sur la question et en est venu à la conclusion que la réponse à cette question est négative.
 


Dans cette affaire, la Demanderesse intente des procédures civile en dommages contre la Défenderesse au motif que cette dernière aurait fait défaut de remplir ses obligations en vertu d’un bail intervenu entre les parties. La Demanderesse recherche également la résiliation du bail.

La Défenderesse présente une exception déclinatoire et demande que l'affaire soit renvoyée dans le district de Montréal. À l'appui de cette demande, la Défenderesse  invoque qu’une clause du bail qui indique que les litiges entre les parties doivent être entendus dans le district judiciaire de Montréal. 
 
Après une analyse de la jurisprudence pertinente - dont la décision de la Cour d'appel dont nous traitions en introduction - le juge Bureau en vient à la conclusion que cette clause ne peut priver la Demanderesse de choisir d'introduire son recours dans un des districts qui rencontre les exigences des articles 68 et suivants C.p.c. Il souligne en effet que le législateur a expressément prévu que le choix de la partie demanderesse pouvait être fait "nonobstant convention contraire" à l'article 68 C.p.c.:
[13]        Le Tribunal est d’avis qu’en fonction des dispositions claires de l’article 68 C.p.c. et des termes « nonobstant convention contraire » qui apparaissent dans cet article, il n’est pas permis aux parties à un contrat d’empêcher conventionnellement l’une d’elles d’intenter un recours fondé sur ce contrat dans l’un ou l’autre des endroits prévus à cette disposition c’est-à-dire soit dans le district du domicile de la défenderesse ou de son domicile élu d’une part ou dans le district où le contrat a été véritablement conclu.  
[14]        La demanderesse avait l’option, en vertu des dispositions de l’article 68 C.p.c., d’intenter son recours dans le district du domicile de la défenderesse, ou dans le district judiciaire de Montréal ou encore compte tenu des allégations de la requête introductive, quant à l’endroit où a eu lieu la signature du contrat dans le district judiciaire de Saint-François.  
[15]        L’insertion dans le contrat d’une élection de domicile et même d’une clause spécifique précisant que pour les besoins de toute procédure judiciaire découlant du bail, les parties élisent domicile auprès du Tribunal compétent dans le district judiciaire de Montréal, ne permet pas d’aller à l’encontre des dispositions impératives de l’article 68 C.p.c. Cet article prévoit spécifiquement que « nonobstant convention contraire », l’action purement personnelle peut être portée soit devant le Tribunal du domicile réel du défendeur ou de son domicile élu ou encore devant le Tribunal du lieu où a été conclu le contrat.  
[16]        L’élection de domicile ou la reconnaissance que même si le bail a été exécuté par l’une ou l’autre des parties à l’extérieur du district judiciaire de Montréal, elles élisent domicile dans le district judiciaire de Montréal, ne peut empêcher l’application de l’article 68.3o C.p.c. 
[17]        Si une distinction doit être faite entre le présent dossier et celui qu’opposait Hydro-Québec et l’un de ses fournisseurs dans l’arrêt Hydro-Québec c. Canmec Industriel et Construction Euler, elle se justifie dans la rédaction du contrat et de la clause pertinente dans chacun des deux dossiers. Dans le dossier Hydro-Québec les parties ont reconnu dans le contrat que celui-ci avait été conclu à Montréal. Dans le présent dossier, il n’y a aucune reconnaissance aussi spécifique à ce sujet si ce n’est que l’entête du contrat indique qu’il a été signé à Montréal. Cela est toutefois contredit par les allégations de la requête lesquelles doivent, à ce stade-ci, être tenues pour avérées d’autant qu’aucune preuve contraire n’a été présentée, ce qui aurait été possible. 
[18]        Bien que cela n’apparaisse peut-être pas essentiel au présent jugement compte tenu des distinctions à faire entre ce dossier et celui dans lequel la Cour d’appel a rendu jugement en mai 2014 le Tribunal ne peut ignorer l’importante dissidence de l’honorable Dominique Bélanger ainsi que les principes émis par la Cour d’appel en 1987 dans l’arrêt Vidéo Jaklan Inc. c. Cadieux. Ces principes bien que soulignés par l’honorable juge Bélanger ne semblent toutefois pas avoir été discutés par les juges majoritaires dans l’arrêt Hydro-Québec
[19]        Quoi qu’il en soit, le Tribunal considère que les parties ne peuvent par contrat aller à l’encontre des dispositions de l’article 68 C.p.c. quant au lieu d’introduction de l’action et que malgré les termes du contrat (P-5), la défenderesse conservait l’option d’intenter son recours soit dans le district du domicile réel de la défenderesse, ou encore celui du domicile élu par les parties aux fins du contrat ou dans le district judiciaire où le contrat a été réellement conclu.  
[20]        Cette option, ouverte à la demanderesse, lui permettait donc d’intenter son recours dans le district judiciaire de Saint-François, ce qu’elle a fait et aucune entente ne pouvait l’empêcher de le faire.
Référence : [2015] ABD 151

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