dimanche 15 mars 2015

Dimanches rétro: le champ d'application des articles 271 et 272 de la LPC

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Plus tôt cette semaine, nous traitions d'une décision récente de la Cour supérieure sur les cas d'application des articles 271 et 272 de la Loi sur la protection du consommateur, où l'Honorable juge Danielle Mayrand indiquait que la question clé est celle de savoir s'il s'agit d'une question de forme ou de fond. C'est dans l'affaire Boissonneault c. Banque de Montréal (1988 CanLII 1065) que la Cour d'appel discutait en détail de la question pour la première fois.
 

Dans cette affaire, l'Appelant se pourvoit contre le jugement de première instance qui a rejeté son recours basé sur la Loi sur la protection du consommateur contre l'Intimée. Il fait valoir que plusieurs dispositions de la LPC ont été violée en ce que le contrat de prêt entre les parties est rédigé partiellement en langue anglaise et ne mentionnait pas le fait qu'il comportait une consolidation de dettes préexistantes et ne donnait pas le détail des dettes consolidées contrairement aux articles 98 et 99.
 
Selon l'Appelant, cette dernière omission constituerait une violation d'une obligation du prêteur et entraînerait la nullité absolue du contrat prévue par l'article 272.
 
La question principale en appel a trait à l'application des articles 271 et 272 puisque la majorité des juges sont d'avis que l'Appelant n'a pas subi de préjudice des manquements allégués (l'Honorable juge Beauregard est dissident sur la question). En effet, puisque l'article 271 prévoit que l'absence de préjudice est un moyen de défense, alors que cela n'est pas le cas pour l'article 272, la détermination de l'article applicable est essentielle.
 
Au nom de la majorité de la Cour, l'Honorable juge Louis Lebel indique que la clé est de déterminer si le manquement en est un de forme ou s'il s'agit d'un comportement prohibé par la LPC qui est en jeu:
La Loi sur la protection du consommateur prévoit des recours civils variés. Ceux de l'article 271 visent la violation des règles de formation des exigences de forme prescrite. L'article 272, plus sévère, sanctionne le manquement à une obligation imposée par la loi ou par les règlements. Il accorde au consommateur des recours variés dont celui en nullité absolue de son engagement: 
[...] 
Pour déterminer si l'article 272 s'applique, le problème consiste  à  distinguer condition de forme et obligation. L'appelant plaide que l'article 98 impose une obligation au commerçant. S'il la viole, l'article 272 lui donne le choix du recours et lui permet d'obtenir la constatation de la nullité absolue de l'obligation. La preuve de l'absence de préjudice ne permettrait pas au commerçant d'éviter la nullité du contrat. 
En un sens, tout est obligation dans l'article 98. La loi fait obligation au prêteur d'argent d'insérer certaines mentions dans le contrat de prêt d'argent. Ces mentions sont nécessaires pour satisfaire à l'objectif d'information complète du consommateur que recherche la Loi sur la protection du consommateur. Cependant, cette obligation porte sur la forme du contrat. Cette notion de forme du contrat ne comporte pas seulement les règles relatives à la forme matérielle du contrat, à la dimension du papier utilisé, à sa qualité, aux caractères d'imprimerie... Elle comprend aussi les mentions obligatoires, en somme le contenu intellectuel du contrat. 
L'article 272 sanctionnerait plutôt des obligations de comportement du commerçant distinctes de celles qui visent la rédaction des actes qu'il passe avec le consommateur. Le juge Claude René Dumais de la Cour provinciale a donné cette interprétation dans une longue étude publiée récemment et dans laquelle il avait analysé la jurisprudence des tribunaux de première instance. Dans la catégorie des conditions de forme visées par l'article 271, il inclut les mentions de l'article 98 que doivent contenir les contrats de crédit (Claude-René Dumais, Une étude des tenants et aboutissants des articles 271 et 272 de la Loi sur la protection du consommateur, 1985, 26 C. de D. 763, p.766. Il s'appuyait notamment sur un jugement du juge Gil Fortier de la Cour provinciale dans Gravel c. Bisson, 1982, C.P. 166, p.169. La Cour provinciale avait alors distingué nettement les champs d'application des articles 271 et 272 et décidé que celui-ci ne visait pas les obligations du commerçant relatives à la rédaction du contrat comme tel: 
"L'article 272 vise d'autres situations. Il est rédigé différemment. Il ne s'adresse pas au contrat comme tel mais décrète quels sont les recours du consommateur si le marchand manque à une obligation que lui impose la loi ou un règlement." 
Le professeur Nicole L'Heureux a exprimé le même avis dans le Droit de la consommation, 3e édition, Wilson & Lafleur, Montréal, p. 59 et aussi dans un commentaire d'arrêt: L'interprétation de l'article 272 de la Loi sur la protection du consommateur, 1982, 42 R. du B. p.456. 
Dans le contexte des articles 271 et 272, la notion de conditions de forme inclut les mentions obligatoires dans les contrats. Celles-ci sont assujetties à un régime de simple nullité relative que le commerçant peut combattre par la preuve de l'absence de préjudice. L'appelant n'a pu établir que le premier juge s'était trompé lorsqu'il a conclu qu'il n'avait subi aucun préjudice du fait de l'absence de cette mention. Au contraire, il savait ce qu'il empruntait, combien et quelles seraient les conditions de ses remboursements. Son statut et sa formation professionnelle auraient dû contribuer à l'éclairer suffisamment sur le contenu et les effets de ses engagements.
Référence : [2015] ABD Rétro 11

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