lundi 23 février 2015

Rappel: seule une personne physique peut être partie à un contrat d'emploi, sauf dans des circonstances très exceptionnelles

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous avons déjà traité à quelques reprises du fait qu'hormis circonstances exceptionnelles une personne morale ne peut être considérée comme une employée. Nous revenons sur la question pour discuter de l'affaire Dusser c. Suppléments Aromatik inc. (2015 QCCS 470) et de ces fameuses circonstances exceptionnelles où la Cour fera abstraction de la personnalité juridique distincte de la personne morale.



Les Demandeurs dans cette affaire ont intenté un recours en dommages contre la Défenderesse au montant de 104 877 $. Ils allèguent que cette dernière a mis fin au contrat d'emploi que les liait.
 
La Défenderesse conteste la qualification juridique du contrat, faisant valoir qu'il s'agit plutôt d'un contrat de service, auquel elle pouvait mettre fin unilatéralement sans motifs en vertu de l'article 2125 C.c.Q. Elle ajoute à ce chapitre qu'il ne peut s'agir d'un contrat d'emploi puisque la Demanderesse, en tant que personne morale, ne peut être une employée.
 
L'Honorable juge Chantal Lamarche fait une revue admirable de la jurisprudence sur la question et note effectivement qu'une personne morale ne peut être une employée, hormis circonstances exceptionnelles. Bien qu'elle en vient à la conclusion que ces circonstances ne sont pas présentes en l'instance, elle en fait une liste utile:
[70]        La revue de la jurisprudence qui précède ne se veut pas exhaustive.  Néan­moins, elle couvre les décisions principales sur le sujet.  Le Tribunal en retient qu’il pourra faire fi de la personnalité juridique d'une société que dans un cas tout à fait exceptionnel.   
[71]        Il ressort de la jurisprudence ci-dessus mentionnée qu'une telle situation exceptionnelle existe lorsque la preuve révèle l'existence d'une combinaison de certains des éléments suivants : 
      l’entreprise cliente a requis du prestataire de services qu’il agisse par le biais d’une société incorporée;  
      la personne physique avait, antérieurement à la création de sa société, une relation d’employeur-employé avec l'entreprise bénéficiaire de ses services;  
      la personne physique est aussi une partie au contrat avec l'entreprise cliente;  
      les services sont fournis en exclusivité au client;  
      les services doivent être fournis exclusivement par la personne physique, actionnaire unique de sa société;  
      la personne physique est personnellement responsable des obligations de sa société. 
[72]        En l’espèce, Monsieur Dusser fonde Focus en 2000 au moment où il s'établit au Québec, avant même d'entreprendre quelque démarche que ce soit auprès d'Aro­matik.  Son objectif est d’obtenir des contrats de services dans l’industrie dans laquelle il œuvre depuis plusieurs années, et ce, particulièrement pour des entreprises fran­çaises qui désirent distribuer leurs produits au Canada.   
[73]        Dans son contre-interrogatoire Monsieur Dusser reconnaît que Focus n'a pas été créée à la demande de Monsieur Deslandes ou de son père mais bien à son initiative.  Un peu plus tard, il ajoute que Jean-Claude Deslandes voulait « avoir des factures ».  Malgré cette dernière précision de Monsieur Dusser, le Tribunal considère ne pas être dans une situation où le client exige que le fournisseur de services se cons­titue en société par actions.  Monsieur Dusser n'a pas fait la preuve que Jean-Claude Deslandes exigeait que ce soit une société par actions qui fournisse les services.  Il est tout à fait normal qu'il y ait une facture pour des services que ceux-ci soient rendus par une société par actions ou par une personne physique, travailleur autonome. 
[74]        Focus, par l'entremise de Monsieur Dusser, rend donc des services moyen­nant un prix.  Ni Focus ni Monsieur Dusser n’a l'obligation d'agir exclusivement pour Aromatik. 
[75]        En effet, bien que Focus n’ait pas encore débuté ses activités lorsqu’elle signe l’Entente, Monsieur Dusser entrevoit déjà d’autres activités pour Focus.  D'ailleurs, son implication auprès d’Aromatik ne l’occupe pas à temps plein.  Au mieux, ses acti­vités pour Aromatik occupent 50 % de son temps.  Ainsi, rapidement Focus a d’autres clients dont Cedarome qui, en 2008, génère des revenus d’environ 35 000 $ pour Focus. 
[76]        La preuve révèle qu'en tout temps Focus a eu d'autres clients qu'Aromatik, comme Cedarome, Métarom, Cherry Rocher bien que ceux-ci ne soient pas des clients aussi importants qu'Aromatik.
Référence : [2015] ABD 76

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