lundi 26 mars 2012

Hormis des circonstances exceptionnelles, une personne morale ne peut être partie à un contrat d'emploi

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

La question s'est posée pendant longtemps en droit de l'emploi québécois: une personne morale peut-elle être une employée? Après quelques hésitations, les tribunaux québécois en sont venus à la présente position à savoir que, hormis les cas où l'employeur insiste pour que son employé fournisse sa prestation via une personne morale, seules les personnes physiques peuvent être des employés. La Cour d'appel réitère ce principe dans Conseillers en informatique d'affaires CIA inc. c. 4108647 Canada inc. (2012 QCCA 535).


Dans cette affaire, l'Appelante interjette appel du jugement qui la condamne à verser à l'Intimée une indemnité de fin de contrat de 280 000 $, avec les intérêts et l'indemnité additionnelle, et les frais. Une des questions centrales de l'affaire en est une de qualification du contrat à savoir s'il s'agit d'un contrat d'emploi ou de services.

À ce chapitre, la Cour d'appel confirme le raisonnement du juge de première instance qui en était venu à la conclusion qu'il s'agissait d'un contrat de service puisque le prestataire est une personne morale:
[34] La question est importante. En effet, s'agissant d'un contrat de travail à durée indéterminée, l'indemnisation serait basée sur les règles gouvernant le délai de congé raisonnable que les parties à un tel contrat doivent se donner lorsqu'elles souhaitent y mettre fin (article 2091 C.c.Q.). S'agissant plutôt d'un contrat de service, l'indemnisation serait subordonnée aux articles 2125 et 2129 C.c.Q.
[35] L'entente du 14 novembre 2002 ne peut définitivement pas être qualifiée de contrat de travail au sens de l'article 2085 C.c.Q. puisque le prestataire de services est une personne morale, 4108647. Le juge l'avait d'ailleurs noté, « (…) assuredly the contract cannot be one of employment if a company furnishes the service, (…) » (paragr. 64).
[36] Il peut arriver que, dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, on fasse abstraction de la personnalité morale de la société, par exemple lorsque l'existence de celle-ci n'est qu'un subterfuge ou un paravent imposé par un employeur pour échapper aux obligations que la loi lui impose à l'égard de ses salariés. Mais, tel n'est pas le cas ici.
[37] À mon avis, l'entente du 14 novembre 2002 est, comme son titre l'indique, un contrat de service au sens de l'article 2098 C.c.Q., le client étant SINC (puis CIA) et le prestataire de services, 4108647, comme dans les arrêts Dazé c. Messageries dynamiques, J.E. 90-678 (C.A.) et Dicom Express inc. c. Paiement, [2009] R.J.Q. 924 (C.A.), 2009 QCCA 611.
[38] L'idée de transformer la relation employeur-salarié en relation client-prestataire de services, en constituant une société par actions pour percevoir les honoraires afférents aux services fournis, est celle de madame Cohen. C'est elle qui a jugé bon de créer une telle société pour profiter, comme elle en avait parfaitement le droit, des avantages fiscaux liés à ce type d'organisation. Elle ne peut aujourd'hui se soustraire aux inconvénients de ce choix. Elle ne peut pas jouer sur les deux tableaux.
[39] L'entente du 14 novembre 2002, n'a, à mon avis, et cela dit avec égards pour le juge de première instance, rien d'un contrat innommé comportant les attributs du contrat de travail (article 2085 C.c.Q.) et du mandat (article 2130 C.c.Q.).
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/GRwfFt

Référence neutre: [2012] ABD 92

Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Notre équipe vous encourage fortement à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d'alimenter les discussions à propos de nos billets. Cependant, afin d'éviter les abus et les dérapages, veuillez noter que tout commentaire devra être approuvé par un modérateur avant d'être publié et que nous conservons l'entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.