par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
La réforme de 1986 en matière d’arbitrage a signalé clairement la volonté du législateur de faire une place plus grande en droit québécois à ce mode de règlement des différends. Cela ne veut pas dire par ailleurs qu’il ne reste pas certains domaines où seuls les tribunaux sont compétents (art. 2639 C.c.Q.). Un des pouvoirs qui demeure toujours réservé aux tribunaux judiciaires, et plus spécifiquement à la Cour supérieure, est celui d’émettre des injonctions.
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
La réforme de 1986 en matière d’arbitrage a signalé clairement la volonté du législateur de faire une place plus grande en droit québécois à ce mode de règlement des différends. Cela ne veut pas dire par ailleurs qu’il ne reste pas certains domaines où seuls les tribunaux sont compétents (art. 2639 C.c.Q.). Un des pouvoirs qui demeure toujours réservé aux tribunaux judiciaires, et plus spécifiquement à la Cour supérieure, est celui d’émettre des injonctions.
Or, au cours des derniers mois, la Cour d’appel a eu l’occasion
d’intervenir à deux reprises pour préciser que, si un arbitre n’avait pas le
pouvoir d’émettre une injonction en tant que telle, il pouvait, dans certaines
circonstances, forcer l’exécution d’une obligation. Ces deux décisions apportent
un éclairage important en la matière.
D’abord, dans l’affaire Service Bérubé ltée c. General Motors du Canada
ltée (2011 QCCA 567), la Cour d’appel en est venue à la conclusion qu'un
arbitre a le pouvoir d'ordonner la continuation d'un contrat et que ce pouvoir
doit être distingué de celui d’émettre une injonction.
Dans cette affaire, le débat s'inscrit dans la tourmente qui a secoué
l'industrie automobile en Amérique du Nord. Après cinquante ans d'existence, un
concessionnaire automobile de l'intimée établi à Trois-Pistoles s'est vu refuser
le renouvellement de son contrat de franchise qui venait à terme le 31 octobre
2010. L'appelante s'est donc adressée à la Cour supérieure pour obtenir diverses
mesures déclaratoires et injonctives afin de forcer l'intimée à renouveler son
contrat.
Invoquant une clause d’arbitrage parfaite, l'intimée a demandé que le
différend soit référé à l'arbitrage et le juge de première instance a fait droit
à cette demande. L'appelante se pourvoit de ce jugement, faisant valoir que
l'arbitre n'a pas le pouvoir pour lui accorder le remède recherché (le
renouvellement du contrat et donc sa continuation).
La Cour d'appel réitère d'abord qu'un arbitre conventionnel n'a pas
le pouvoir d'émettre une injonction:
[73] La Cour suprême a reconnu
à maintes reprises et en termes clairs qu'au Québec l'injonction relève de la
compétence exclusive de la Cour supérieure. Dans A.I.E.S.T., local de scène no
56 c. Société de la Place des Arts de Montréal (Société de la Place des Arts de
Montréal), le juge Gonthier, de nouveau pour une Cour unanime, écrit
:
Somme toute, l'injonction est un recours extraordinaire qui ne peut
être accordé au Québec que par la Cour supérieure. […]
Cependant, la Cour note que cela ne veut pas dire que l'arbitre n'a
pas le pouvoir d'octroyer à l'appelante le remède qu'elle recherche. En effet,
l'exécution en nature se distingue de l’injonction et est le mode normal et
général d'exécution des obligations par un créancier. De l’opinion de la Cour,
rien n'empêche un arbitre d'ordonner celle-ci:
[94] À notre avis, seule la
procédure d'injonction proprement dite relève exclusivement de la Cour
supérieure. S'il suffisait pour revendiquer le statut de demande en injonction
d'adjoindre une conclusion requérant qu'un ordre soit adressé à la partie
adverse de respecter ses obligations, une très forte proportion de procédures
pourrait alors répondre à l'exigence et serait, en conséquence, du ressort de la
Cour supérieure à l'exclusion de tout autre tribunal. Tel que ci-haut mentionné,
toutes les ordonnances des tribunaux ne sont pas des injonctions proprement
dites au sens des articles 751 et suivants du Code de procédure
civile.
[95] En l'espèce, il est exact
que l'appelante a rédigé ses conclusions sous la forme apparente d'une demande
d'injonction. Toutefois, cette qualification d'ordre général trahit la nature
véritable de la controverse qui l'oppose à l'intimée. Comme nous l'avons
mentionné précédemment, le cœur du litige tient aux visions opposées des parties
quant à l'application de la clause de renouvellement. L'intimée refuse de
renouveler la concession parce qu'elle ne s'y estime pas tenue en raison des
circonstances. À l'inverse, l'appelante est d'opinion qu'elle a l'obligation de
le faire. Ici, le refus de l'intimée de renouveler le contrat ne trouve pas son
fondement dans une attitude mentale que seule une contrainte pénale serait à
même d'infléchir.
Récemment, dans Neartic Nickel Mines Inc. c. Canadian Royalties
Inc. (2012 QCCA 385), la Cour d'appel continue dans la même lignée et
indique que l'arbitre avait le pouvoir d'émettre une ordonnance forçant une
partie à vendre des actions à une autre.
Dans cette affaire, l'arbitre a rendu une sentence par laquelle il a
ordonné le transfert de certaines actions d'une compagnie à l'intimée. Les
appelantes contestent l'homologation de la sentence pour plusieurs motifs, dont
le fait que l'arbitre n'avait pas le pouvoir d'émettre une ordonnance
d'injonction comme il l'a fait.
Encore une fois, la Cour souligne que l’exécution en nature d’une
obligation n’est pas nécessairement une injonction. Priver l’arbitre du pouvoir
d’ordonner celle-ci limiterait sévèrement l’utilité de l’arbitrage en matière
commerciale. Elle suit donc le même courant et confirme le pouvoir de l’arbitre
d’ordonner le transfert des actions en exécution d’une obligation contractuelle
valide.
Voilà un développement jurisprudentiel de grand intérêt pour ceux qui
pratiquent en matière de litige commercial.
Référence neutre: [2012] ABD 93
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