lundi 9 février 2015

La Cour d'appel remet les pendules à l'heure quant à la qualité du représentant en matière de recours collectif

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Sans vouloir dire que les avocats qui pratiquent en matière de recours collectif ne prenaient pas jadis le critère de l'article 1003 (d) C.p.c. (le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres) au sérieux, il n'en reste pas moins que ce critère était si facile à satisfaire que peu d'attention lui était accordée. Récemment, les tribunaux se sont montrés plus exigeant envers le représentant proposé, redonnant ses lettres de noblesse au critère de 1003 (d). Or, la Cour d'appel vient de ramener les exigences quant à la qualité du représentant à leur niveau traditionnel dans Lévesque c. Vidéotron, s.e.n.c. (2015 QCCA 205).
 


L'Appelante se pourvoit à l'encontre d'un jugement de première instance qui a refusé d'autoriser son recours collectif contre les Intimées. Ce recours cherche à représenter le groupe composé des personnes "qui utilisent ou utilisaient le service Illico sur demande (ci-après appelé le « canal 900 ») et qui ont commandé au moins une fois du contenu payant sous la rubrique « Films pour adultes, Torride » depuis le 1er février 2009 ou depuis la date effective à laquelle il y a eu diminution de la durée de location de vingt-quatre (24) heures, si postérieure au 1er février 2009".
 
Le juge de première instance a rejeté la demande d'autorisation parce qu'il a jugé que le représentant proposé n'avait pas effectué une enquête raisonnable sur la cause d'action et la composition du groupe.
 
L'Honorable juge Dominique Bélanger, au nom d'un banc unanime de la Cour, en vient à la conclusion que le juge de première instance a été trop exigeant envers le représentant proposé. Elle ajoute que, règle générale, le représentant proposé n'a pas à faire d'enquête pour prouver l'existence d'un groupe. Ce n'est seulement que dans les cas où l'existence d'un groupe n'est pas évident que cette enquête sera requise:
[22]        À mon avis, dans le contexte particulier du présent dossier et avec le plus grand respect pour la juge de première instance, il s’agit d’une erreur. À sa décharge, la juge n’a pu bénéficier de l’arrêt rendu postérieurement par la Cour suprême dans l’affaire Infineon Technologies
[23]        Dans cette affaire, la Cour suprême reprend d’abord les enseignements du professeur Lafond et réitère les trois facteurs à considérer pour évaluer la représentation adéquate : 1) l’intérêt à poursuivre; 2) la compétence du représentant, et 3) l’absence de conflit avec les membres du groupe. La Cour suprême ajoute toutefois que « [A]ucun représentant proposé ne devrait être exclu, à moins que ses intérêts ou sa compétence ne soient tels qu’il serait impossible que l’affaire survive équitablement ». Ce faisant, la Cour suprême envoie un message plutôt clair quant au niveau de compétence requis pour être nommé représentant. Le critère est devenu minimaliste. 
[24]        Dans notre affaire, seule la compétence de l’appelant est remise en cause. Son intérêt à poursuivre est clair, tout comme le fait qu’il ne semble pas en conflit d’intérêts avec les autres membres du groupe. On lui reproche toutefois de ne pas avoir tenté de rechercher d’autres membres et de ne pas avoir tenté d’indiquer leur nombre potentiel. 
[25]        Quoique non requis par le Code de procédure civile, il est vrai qu’il est habituel au Québec qu’un représentant ou un bureau d’avocats agissant pour lui crée une page Internet qui permet aux éventuels membres de manifester leur intérêt pour le recours envisagé par l’inscription de leurs noms sur une liste prévue à cet égard. Cette façon de procéder a l’avantage de permettre la démonstration qu’un certain nombre de personnes estiment pouvoir faire partie du groupe proposé et même d’identifier certaines de leurs caractéristiques. 
[26]        Il est exact de dire que, généralement, une personne qui veut se voir reconnaître le statut de représentant d’un groupe ne peut se contenter de présenter son seul dossier pour obtenir l’autorisation d’exercer un recours collectif. Elle doit effectuer certaines démarches qui lui permettront de démontrer qu’elle n’est pas seule dans sa situation et que plusieurs autres personnes démontrent un intérêt à poursuivre. En bref, elle doit démontrer l’existence d’un véritable groupe. En effet, le juge saisi de la demande d’autorisation a besoin d’un minimum d’informations sur la taille et les caractéristiques essentielles du groupe visé pour évaluer le respect du paragraphe 1003 c) C.p.c. De plus, il a souvent besoin de précisions pour évaluer l’insatisfaction des membres du groupe et la pertinence de recourir à l’action collective. 
[27]        Toutefois, le niveau de recherche que doit effectuer un requérant dépend essentiellement de la nature du recours qu’il entend entreprendre et de ses caractéristiques. Si, de toute évidence, il y a un nombre important de consommateurs qui se retrouvent dans une situation identique, il devient moins utile de tenter de les identifier. Il est alors permis de tirer certaines inférences de la situation. 
[28]        Le recours proposé ici a ceci de particulier que l’on peut présumer que les intimées possèdent toutes les données nécessaires à l’estimation du nombre d’abonnés concernés par le recours, ainsi que le nombre de locations de « Films pour adultes – Torride » effectuées par ces derniers. En effet, les relevés mensuels produits par l’appelant indiquent, de façon précise, la journée et l’heure de la location de chacun de ces films. Le tarif de 10,99 $ correspondant, à ce que j’en comprends, au montant facturé pour cette catégorie de films.
Commentaire:
 
Je dois avouer avoir de la difficulté à suivre le raisonnement de la Cour sur la question. C'est l'article 1003 (c) qui exige la démonstration de la véritable existence d'un groupe, pas l'article (d). À l'égard de ce dernier, les tribunaux requéraient la démonstration d'une enquête de la part du représentant proposé comme démonstration de son intérêt pour le recours et les membres de celui-ci.
 
Référence : [2015] ABD 55

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