mercredi 14 janvier 2015

Retour sur le délai raisonnable pour intenter un recours en nullité

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Je vous soulignais récemment que les tribunaux québécois soumettent le recours en nullité à l'obligation que celui-ci soit intenté à l'intérieur d'un délai raisonnable et que ce délai, à moins de circonstances exceptionnelles, est de 30 jours. Or, il importe de souligner cependant qu'il existe un autre courant de jurisprudence qui indique qu'un délai raisonnable pour un recours en nullité est plus long que 30 jours. L'affaire Immeubles Yale ltée c. Kirkland (Ville de) (2015 QCCS 24) s'inscrit dans ce dernier courant.



Dans cette affaire, la Demanderesse intente une action directe en nullité et demande l’annulation du Règlement 99-01 adopté le 8 mars 1999 par le conseil de la Défenderesse.
 
La Demanderesse fait valoir que le R-99-01 est inéquitable et abusif en ce que la Défenderesse aurait agi de mauvaise foi en imposant une taxe spéciale à la Demanderesse pour un terrain qui n’est pas développable.
 
La Défenderesse fait valoir que le recours a été intenté dans un délai déraisonnable, soit plus de deux ans après l’adoption du R-99-01 et qu'il doit donc être rejeté pour ce motif.
 
L'Honorable juge Danielle Grenier rejette cet argument et indique qu'il est nécessaire d'établir le délai raisonnable en fonction du contexte de chaque recours en nullité afin d'éviter de causer des injustices:
[83]        Le principe de diligence a été appliqué dans de nombreux arrêts dont : 
- Compagnie Royal Trust c. St-Laurent (Ville de). Un délai de sept ans a été jugé déraisonnable même si, d’autre part, la Cour d’appel a considéré que le règlement attaqué était nul. 
- Fabi c. Rock Forest (Municipalité). Délai de quatre ans.  
- Wendover et Simpson (Corporation municipale de) c. Filion. Le délai était de quatre ans. Le juge Brossard écrit :  
Le principe de la stabilité des lois exige en effet qu’un recours en nullité fondé sur les dispositions de l’article 33 du Code de procédure civile soit intenté dans les plus brefs délais possibles après l’adoption de la réglementation visée. Il serait en effet à la fois trop facile et aussi trop dangereux d’adopter la thèse de la connaissance factuelle par un contribuable individuel, qui ouvrirait la porte à des recours en nullité susceptibles d’être intentés 10, 15 ou 20 ans après l’adoption d’un règlement. On peut imaginer le chaos susceptible de résulter d’une déclaration de nullité plus de 20 après le fait, à l’égard, par exemple, de ceux dont les droits auraient soit été acquis en conformité avec ce règlement, soit lésés par l’application d’un tel règlement non contesté.  
- Les immeubles SGT limitée c. St-Germain de Grantham (la Municipalité de). Le juge Sénecal écrit :  
[27]      Quoi qu’il en soit, même le délai de plus de deux ans qui a suivi la prise de conscience de la demanderesse est trop long. Aucune explication valable n’a été fournie pour l’expliquer. La demanderesse a dit qu’elle a dès lors fait des démarches pour tenter de faire modifier la réglementation, mais elle a donné bien peu de détails quant à ses démarches. En aucune façon elle n’a justifié qu’elles aient dû se poursuivre pendant deux ans.  
[28]      Il appartenait à la demanderesse de justifier son inaction et d’impliquer le délai à agir. […]  
- St-Placide (Municipalité de) c. Régie intermunicipale Argenteuil Deux-Montagnes
[84]        Comme on peut le constater, à la lumière de la jurisprudence citée, la prescription trentenaire a été depuis longtemps écartée au profit d’une approche qui s’harmonise avec les principes applicables en matière de révision judiciaire. Plus on avance dans le temps, plus la notion de « délai raisonnable » devient restrictive.  
[85]        Le Tribunal est d’avis qu’une application trop rigoureuse de cette règle risque de porter atteinte à un principe tout aussi important que celui de la diligence, l’équité.  
[86]        L’équité repose sur l’équilibre des principes, d’une part, la nécessité de ne pas paralyser ou déstabiliser l’appareil municipal et de ne pas priver les citoyens des droits qu’ils ont acquis en conformité avec le règlement adopté et, d’autre part, l’importance de ne pas priver de ses droits judiciaires le citoyen qui recherche la nullité d’un règlement. Chaque cas est un cas d’espèce.
Référence : [2015] ABD 19

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