mardi 30 décembre 2014

Subi un préjudice au Québec, la compagnie qui perd une opportunité d'affaires dans la province

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Il y a presque deux semaines, nous discutions de la distinction le préjudice subi au Québec et celui qui y est comptabilisé. Dans la décision alors citée - Istore Inc. c. Paradies Shops, l.l.c. (2014 QCCS 5995) - la Cour supérieure en venait à la conclusion que le prejudice était simplement comptabilisé au Québec de sorte que les tribunaux québécois n'avaient pas juridiction sur le litige. La decision récente rendue dans Ferme Jolicap inc. c. Select Genetics of Indiana, l.l.c. (2014 QCCS 5552) parle également de cette distinction, mais les faits mènent à une conclusion contraire.


Alléguant que des manquements contractuels des Défenderesses ont causé l'annulation de deux transactions subséquentes dont les Demanderesses étaient parties, ces dernières intentent un recours en dommages.  
 
Les Défenderesses contestent la juridiction des tribunaux québécois, alléguant qu'aucun des critères de l'article 3148 C.c.Q. n'est rempli. Les Demanderesses plaident au contraire que leur préjudice est subi au Québec.
 
L'Honorable juge Pierre Ouellet donne raison aux Demanderesses, soulignant que la parte de deux contrats au Québec est véritablement un préjudice subi au Québec et non pas seulement un préjudice comptabilisé ici:
[12]        Il est opportun de relire les extraits suivants des notes des juges Le Bel et Wagner : 
«[45]        Le préjudice subi au Québec constitue un facteur indépendant prévu au par. 3148(3) : il n’est pas nécessaire que le préjudice soit lié à l’endroit où le fait dommageable a été subi ou la faute commise, contrairement par exemple à l’art. 3168.  Chacun des quatre facteurs mentionnés au par. 3148(3) créerait un lien suffisant avec la province pour fonder la compétence. (Références omises)  
S’agissant du type de préjudice visé par le par. 3148(3), il n’existe aucune raison de principe justifiant d’exclure le préjudice purement économique de l’application de la disposition.  Le libellé clair du par. 3148(3) n’empêche pas le préjudice économique de servir de facteur de rattachement, et le droit civil québécois n’interdit pas non plus l’indemnisation de la perte purement économique.  
[46] (…)  Pour remplir l’exigence du par. 3148(3), le préjudice doit être subi au Québec.  Comme l’explique le juge Kasirer dans la décision de la Cour d’appel dans la présente affaire, il importe de distinguer le préjudice subi pour l’essentiel au Québec de celui qui est simplement comptabilisé au Québec, sur le fondement du lieu où se trouve le patrimoine du demandeur :  
[traduction]  Il faut établir une distinction entre [le préjudice] et le « dommage », qui représente la conséquence subjective du préjudice se rapportant à la mesure de réparation nécessaire pour compenser la perte. Par conséquent, en précisant qu’« un préjudice y a été subi » comme facteur de rattachement pertinent, le par. 3148(3) vise à identifier le situs réel du « préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel, que lui cause le défaut du débiteur et qui en est une suite immédiate et directe » (art. 1607 C.c.Q.), et non le situs du patrimoine dans lequel la conséquence de ce préjudice est comptabilisée.  [par. 65]  
(…)  
[56]            En résumé, nous estimons que Mme Cloutier, une résidente du Québec, a subi un préjudice économique au Québec en raison de la conclusion d’un contrat dans cette province.  Certes les principes de courtoisie, d’ordre et d’équité qui sous-tendent le droit international privé exigent que la compétence du forum soit correctement attribuée.  Toutefois, suivant le droit québécois, la preuve de l’un ou l’autre des quatre facteurs énumérés au par. 3148(3) C.c.Q. permet d’établir un lien suffisant avec la province (voir Spar Aerospace, par. 55-56).  En conséquence, les tribunaux québécois ont compétence aux termes du par. 3148(3) pour décider si le recours collectif en l’espèce devrait être autorisé sur le fondement de l’art. 1003 C.p.c.» 
[13]        Le Tribunal retient l’approche que lui a présentée l’avocat de la demanderesse, il s’agit d’un cas d’application de l’article 3418 (3o) C.c.Q. parce qu’un préjudice a été subi au Québec en ce que : 
  Alors qu’elles sont situées au Québec, les demanderesses n’ont pas été informées en temps utile que le veau Brace était décédé.  
  Avant de recevoir cette information, elles ont conclu des transactions entre elles et, par la suite, Jolicap a cédé ses droits sur les embryons et Brace à BIG, les deux parties demanderesses réalisant un profit lors de ces ventes. 
[14]        Or, elles ont perdu ces gains lorsqu’elles ont dû annuler les transactions. 
[15]        De plus, elles ont reçu des factures pendant quatorze mois pour la pension des veaux alors qu’elles avaient déjà indiqué qu’elles n’étaient pas intéressées à recevoir les deux autres veaux vu leurs qualités génétiques inférieures; d’ailleurs, elles réclament le remboursement des sommes payées à ce titre. 
[16]        Le Tribunal ne retient pas l’approche que lui a soumise l’avocate des défenderesses selon laquelle il n’y a pas lieu de considérer les pertes découlant des cessions intervenues entre Jolicap et TAG et, par la suite, entre Jolicap et BIG. 
[17]        Le préjudice subi lors de ces transactions découle directement du défaut des défenderesses de livrer le veau Brace et d’informer les demanderesses de son décès.
Référence : [2014] ABD 519

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