jeudi 11 décembre 2014

L'interprétation des lois fiscales en faveur du contribuable n'entre en ligne de compte que lorsque les autres méthodes d'interprétation n'ont pas permis de régler l'ambiguïté

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Nous discutions récemment que ce n'est qu'en dernier recours en matière d'interprétation des contrats que l'on doit utiliser la règle contra preferentem. Dans la décision rendue par la Cour d'appel dans Carrière St-Eustache ltée c. Boisbriand (Ville de) (2014 QCCA 2233), celle-ci souligne qu'il en est essentiellement de même pour l'interprétation des lois fiscales en faveur du contribuable.
 

Dans cette affaire, l'Appelante se pourvoit à l'encontre d'un jugement de première instance qui, en interprétant les dispositions de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières qui précisent le montant sur lequel le droit de mutation est calculé par une municipalité, en est venu à la conclusion que le loyer payé par l'Appelante est une contrepartie au sens de la loi.

Dans le cadre du pourvoi, la Cour devait définir pour la première fois le sens à donner à la contrepartie pour le transfert du droit de propriété aux fins de la Loi.

L'Appelante a loué les terrains en question pendant sept ans avant d'acquérir ceux-ci à un prix déterminé dans l'option d'achat prévue au bail. La question était donc celle de savoir si le prix d'achat pour les fins des droits de mutation était celui stipulé à la clause ou s'il fallait lui ajouter le montant des loyers payés à travers les années.

Dans un jugement unanime rédigé sous la plume de l'Honorable juge Martin Vauclair, la Cour vient confirmer le jugement de première instance rendu par l'Honorable juge Jimmy Vallée.

Ce faisant, le juge Vauclair rejette la prétention de l'Appelante à l'effet que la loi - à titre de loi fiscale - devait être interprétée en sa faveur. En effet, il souligne que cette méthode d'interprétation ne doit être utilisée que lorsqu'il subsiste un doute sérieux sur le sens à donner à une disposition législative après application des méthodes d'interprétation usuelles:
[29]        Le juge a conclu que l’interprétation correcte de la clause 17.1 est de donner une double finalité aux montants versés, lesquels deviennent des acomptes une fois l’option levée. Cette interprétation cadre non seulement avec le sens ordinaire des mots employés, mais elle correspond entièrement à ce que les parties choisissent de faire. Une fois l’option levée, le bail n’existe plus. Les montants versés jusqu’alors réduisent d’autant le prix préétabli. En optant pour l’achat des terrains aux conditions stipulées au Bail, elles s’engageaient dans un nouveau contrat et transformaient le loyer de base en acompte versé sur le prix de vente convenu et stipulé nécessaire au transfert du droit de propriété.  
[30]        Cette interprétation ne contrevient pas à l’article 1428 C.c.Q. La clause conserve tous ces effets. Si, comme l’écrit l’appelante, le loyer est une contrepartie fournie pour la jouissance de l’immeuble pendant toute la durée de la location, le même contrat prévoit qu’elle sera une contrepartie au prix de vente si le locataire souhaite s’en porter acquéreur.  
[31]        Ainsi, le juge parvient à la bonne conclusion. Le loyer de base payé en vertu du Bail est ici une « contrepartie fournie pour le transfert de l'immeuble » ou même une « contrepartie stipulée pour le transfert de l’immeuble » au sens de l’article 2 de la L.D.M.I. En d’autres mots, lorsque le bail cesse et que la vente opère, dans les circonstances, le loyer versé devient une contrepartie au transfert des terrains aux fins de la Loi.  
[32]        L’appelante adopte une interprétation rigide de la Loi qui n’est pas justifiée. Suivant l’approche moderne d’interprétation des lois, « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ». La règle demeure, même lorsque la Loi s’apparente aux lois fiscales. Empruntant les mots de la Cour suprême, on peut dire que « si l'activité du contribuable relève de l'esprit de la disposition fiscale, il sera assujetti… » à la disposition. Ce n’est que s'il subsiste un doute sérieux qu’on interprète la disposition en faveur du contribuable. Or, dans le cas sous étude, il n’y a pas de tel doute.
Référence : [2014] ABD 493

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